Fiscalité énergétique en France : état des lieux et enjeux

Jacques Percebois

Jacques Percebois

Professeur émérite à l’Université de Montpellier, Jacques Percebois dirige le Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN), équipe spécialisée sur l’énergie.

L'essentiel

Nous nous étions interrogés sur la cohérence entre les charges fiscales pesant sur les coûts à la consommation des différentes énergies avec l’objectif de transfert des consommations vers des énergies non carbonées, essentiellement l’électricité. Le Professeur Jacques Percebois, auquel nous avons fait appel, nous a soumis les remarquables analyses ci-dessous dont nous avons unanimement apprécié l’originalité et la pertinence : l’originalité, car il met de la clarté dans un fouillis de taxes et d’accises pesant sur les différentes énergies dans lesquelles il était devenu très compliqué de voir clair ; la pertinence, car non seulement il clarifie ces dispositions fiscales mais aussi leurs effets potentiels et les champs d’évolution envisageables. 

Nous en tirons déjà, pour notre part, les orientations suivantes : 

  • Il n’est sans doute pas souhaitable de modifier pour l’énergie le dispositif de TVA qui relève du droit commun : il s’applique à tous les produits et services. Le secteur domestique paie et supporte la TVA ; les  professionnels la paient mais ne la supportent pas puisqu’ils la récupèrent  et cela ne pèse donc pas sur leur compétitivité. Ce sont donc les accises qui pèsent sur les professionnels qu’il convient de discuter, ainsi que la taxe carbone payée par les entreprises ne relevant pas encore du marché européen du carbone (ETS ou SEQE pour Emissions Trading Schemes ou Système d’Echange de Quotas d’Emissions) dont les grosses entreprises sont redevables, depuis 2005, sous forme d’achat de droits à polluer.  
  • On notera que l’électricité est beaucoup plus taxée que le gaz naturel alors même que la première est décarbonée en France à plus de 95% ce qui n’est pas le cas du gaz fossile. La structure de la fiscalité française ne correspond donc pas aux ambitions affichées de décarbonation du mix électrique : il serait cohérent d’augmenter les accises sur les consommations de gaz. 
  • Le marché européen du carbone (ETS ou SEQE) est devenu sérieusement incitatif avec un coût de la tonne de CO2 émis autour de 70-75 €/tCO₂ d’ici 2030, grâce à des efforts d’atténuation également déclenchés par d’autres mesures et devrait ensuite augmenter dans les années 2030, jusqu’à environ 130 €/tCO₂ d’ici 2040, sous l’effet d’un contexte de décarbonation croissant.  Son extension à de nouveaux secteurs est prévue par un ETS2 ou SEQE2 qui concernera les émissions de CO2 des énergies fossiles utilisées dans les secteurs du transport routier, des bâtiments, des travaux publics et de la petite industrie. Les revenus de ces dispositifs n’alimentent pas le budget de l’Etat national mais reviennent à la Commission Européenne qui les consacre exclusivement à des projets pour le climat (selon les priorités de l’UE). Il convient donc de veiller à ce que ces dispositifs européens créent des incitations cohérentes avec nos objectifs nationaux, notamment concernant les projets nucléaires qui produisent notre électricité très peu carbonée. 
  • La taxe carbone fixée au niveau national pour couvrir les émissions de CO2 des secteurs non soumis au marché ETS est plafonnée à 44,6 euros par tonne de CO2 depuis 2018 suite aux contestations dites « des gilets jaunes ». L’Etat a renoncé à l’augmenter comme prévu initialement. L’extension de l’ETS à de nouveaux secteurs en réduira encore le champ. Nous ne pensons pas donc pertinent d’y revenir. 
  • Compte tenu du dramatique endettement de l’Etat, nous ne préconisons pas la réduction du rendement global des fiscalités énergétiques mais de les structurer et les mettre en cohérence avec l’objectif de décarbonation. Le montant des accises pesant sur l’énergie se montent à 16,0 milliards d’euros en 2024. La décomposition entre les diverses énergies concernées montre que les produits pétroliers représentent à eux seuls 60% des prélèvements, suivis par l’électricité (32,8%) et loin derrière par le gaz naturel (5,3%). Les recettes auxquelles l’Etat renonce sous forme d’exonérations diverses sont en outre  estimées à 52 milliards d’euros. 

Fiscalité énergétique en France : état des lieux et enjeux

Temps de lecture : 17 minutes

Un système fiscal n’est pas une construction totalement rationnelle mais le produit de l’Histoire, donc de décisions prises à des moments différents pour des motifs différents. Cela peut dès lors conduire à des incohérences ou à des situations surprenantes. La fiscalité de l’énergie n’échappe pas à la règle.

En matière de prélèvements obligatoires il convient de distinguer l’impôt et la taxe. L’impôt est en général ad valorem ce qui signifie que c’est un pourcentage d’une assiette évaluée en euros. C’est le cas de la TVA qui, malgré son nom, est un impôt au sens juridique du terme, dont le taux normal est aujourd’hui de 20% et qui s’applique à toutes les activités dans le secteur de l’énergie, même si son montant peut être récupéré par les entreprises, ce qui en fait de facto un impôt sur la seule consommation (il existe un taux réduit à 5,5% qui s’appliquait jusqu’à récemment encore sur l’abonnement à l’électricité et au gaz naturel). Certains impôts sont fixés en euros par quantité physique (MWh ou hectolitre par exemple). Ce sont des accises. L’impôt obéit à la règle de non affectation des recettes ce qui signifie qu’il est versé dans un pot commun pour financer les dépenses publiques, sans qu’il soit précisé de quel type de dépense il s’agit.

La taxe est en général évaluée en euros par quantité physique (euros par MWh ou par hectolitre d’essence par exemple) et elle est le plus souvent, quoique pas toujours, affectée à un type de dépense (c’était le cas de la CSPE, de la TCFE, de la TICFE, de la TICPE et de la TICGN qui en 2022 ont été redéfinies comme accises et ne sont donc plus affectées en principe). Au départ la CSPE visait à compenser les charges de service public de l’électricité telles que le financement des obligations d’achat des renouvelables, le financement de la péréquation tarifaire pour les zones non interconnectées (DOM ou Corse), le financement de certains dispositifs sociaux pour les personnes en situation de précarité énergétique. La taxe carbone est elle aussi une taxe affectée à des investissements écologiques. Certaines taxes affectées sont évaluées en euros, comme la taxe de ramassage des ordures ménagères. Il ne faut pas confondre les prélèvements votés par le Parlement ou une collectivité publique (la Région par exemple) avec les péages d’accès à certaines infrastructures, comme le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) qui sont en général fixés par un organisme public (mais qui peut être privé) tel que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) ; ce ne sont pas des taxes au sens juridique : ce sont des prix (ou péages) qui correspondent à un service et leur montant est réputé correspondre au coût du service rendu.

Il importe de garder à l’esprit que l’Etat, qui a besoin d’impôts pour financer les dépenses publiques, recherche une assiette stable et la moins aléatoire possible. Les énergies (surtout les carburants) présentent l’avantage de correspondre à une consommation relativement peu élastique, à court terme du moins. La base d’imposition est en outre prévisible avec une bonne approximation.

L’électricité, le gaz et les produits pétroliers supportent à la fois la TVA et des accises. Nous n’abordons pas ici la question des péages. Les tarifs d’accès aux réseaux sont un élément important du prix payé par le consommateur final (particulier ou entreprise) qui représente entre 20 et 35% du prix TTC du MWh d’électricité ou de gaz. C’est 23% de la facture d’électricité à mi-septembre 2025 pour un ménage. Il existe un tarif pour le réseau de transport et un tarif pour le réseau de distribution et le montant payé varie en fonction du lieu de raccordement du client. Notons que les grandes entreprises bénéficient de tarifs réduits.

La note est divisée en 2 parties :

  1. Un état des lieux de la fiscalité assise actuellement sur l’électricité, le gaz et les produits pétroliers ;
  2. Une réflexion sur l’impact de cette fiscalité sur la compétitivité des entreprises.

Etat des lieux de la fiscalité sur l’énergie

Le schéma ci-après donne la structure du prix TTC d’un kWh d’électricité, d’un kWh de gaz naturel, d’un litre d’essence et d’un litre de fioul achetés en 2025 par un consommateur domestique en France (source : données internet). On constate que la part des taxes est de 20% pour le gaz, 25% pour l’électricité, 30% pour le fioul (FOD) et 60% pour l’essence.

Le secteur domestique paie et supporte la TVA. Le secteur professionnel la paie mais ne la supporte pas puisqu’il la récupère (hormis quelques rémanences), et cela ne pèse donc pas sur sa compétitivité. La TVA est un impôt assis sur la consommation qui s’applique à tous les produits et services, et son assiette inclut les accises prélevées en amont, ce qui en fait un impôt assis partiellement sur un impôt. Les professionnels paient et supportent les accises mais ils peuvent bénéficier de réductions et c’est notamment le cas des gros industriels (électro-intensifs par exemple). Il existe également une taxe carbone qui peut, dans certains cas, être incluse dans une accise (cas de la composante carbone de certaines accises). Nous examinerons successivement les accises et la taxe carbone. La TVA (20%) étant acquittée sur tous les produits, nous raisonnons hors TVA dans ce qui suit.

Les accises

Le tableau ci-après présente les accises qui pèsent aujourd’hui sur les différentes énergies et qui ont pris le relais de la CSPE (contribution au service public de l’énergie) et de la TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité). Nous ne prenons pas en compte la CTA, Contribution Tarifaire d’Acheminement, taxe spécifique aux secteurs du gaz et de l’électricité, mise en place en 2004 au profit de la Caisse Nationale en charge des retraites des personnels de l’électricité et du gaz. La TICPE (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques), qui frappe les produits pétroliers utilisés comme carburants ou combustibles de chauffage, a remplacé la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers).
Toutes les accises ont été calculées ici en euros par MWh, afin de faciliter les comparaisons ; notons que les taux ont changé au 1er août 2025.

Source estimations sur la base de documents du ministère de l’économie (Guide sur la fiscalité énergétique)

On notera que les carburants sont sensiblement plus taxés que l’électricité et le gaz ; l’électricité est sensiblement plus taxée que le gaz naturel alors même que la première est décarbonée en France à plus de 95% ce qui n’est pas le cas du gaz fossile. Les accises sur l’électricité sont également plus importantes que celles qui pèsent sur certains produits pétroliers comme le GPL, le FOD et même le fioul lourd. La structure de la fiscalité française ne correspond donc pas aux ambitions affichées de décarbonation du mix électrique. Cela s’explique par le fait qu’au départ ces taxes sur l’électricité étaient calées sur le coût des missions de service public (les subventions aux renouvelables en particulier). Le montant élevé des taxes est demeuré lorsque la taxe a été transformée en accise. Notons aussi qu’il faut également tenir compte de la taxe carbone dont il sera question ci-après et qui cette fois pénalise le gaz, certains secteurs industriels utilisant des produits pétroliers, mais aussi une faible proportion de la production d’électricité. Les très gros industriels bénéficient d’accises à taux réduit.

Si l’on raisonnait non plus en MWh mais sur la base du CO2 émis par chaque énergie, on constaterait que l’électricité est encore plus fortement pénalisée que le gaz ou les autres substituts. C’est ce que montre une étude de l’IFRAP (2025).

Source IFRAP « Pourquoi il faut baisser les taxes sur l’électricité ? », septembre 2025

La figure ci-après retrace l’évolution de l’accise qui pèse sur l’électricité achetée par le consommateur domestique. On constate une forte augmentation depuis 2011, comme indiqué, qui s’explique par les subventions accordées aux renouvelables, sous forme d’obligation d’achat ou de complément de revenu, à une époque où il y avait correspondance entre le surcoût des renouvelables et le niveau de la taxe. C’est en 2022 que ces taxes ont changé d’intitulé en devenant des accises et non plus des taxes affectées. Elles sont maintenant versées au budget général de l’Etat et c’est donc le contribuable qui paie pour le soutien des renouvelables et la lutte contre la précarité énergétique, et non plus directement le consommateur d’électricité même si celui-ci est aussi un contribuable. En 2022, 2023 et 2024 la taxe (devenue accise) a été fortement réduite pour compenser en partie le coût élevé de la production et fourniture d’électricité lié à l’envolée du prix du gaz naturel suite à la guerre en Ukraine (bouclier tarifaire). L’accise a été fortement réévaluée en 2025 après la fin du bouclier tarifaire, et du fait d’une majoration destinée à financer la péréquation spatiale des tarifs (ZNI). On a, par ce biais, réintroduit une mission de service public dans l’accise, ce qui juridiquement lui donne le caractère d’une taxe. Rappelons que les accises ne sont pas des impôts affectés ce qui signifie que le montant est en théorie indépendant aujourd’hui du coût des missions de service public pour lesquelles ces taxes avaient été introduites au départ, même si en pratique un lien subsiste de façon implicite.

Le schéma ci-après retrace l’évolution de l’accise sur le gaz naturel depuis 2013 (en euros/MWh et en %). On constate une forte augmentation en 2018, suivie d’un plateau, puis une nouvelle augmentation en 2024 suivie d’une baisse à mi-2025. Sur toute la période on peut voir que l’accise (ou ex taxe) sur le gaz est sensiblement inférieure à celle portant sur l’électricité.

Un prix du carbone

Pour pénaliser et limiter les émissions de carbone (avec un objectif de « zéro émissions » en 2050, lequel ne sera sans doute pas atteint) deux mécanismes sont actuellement en vigueur :

  1. Un marché européen du carbone (ETS ou SEQE pour Emissions Trading Schemes ou Système d’Echange de Quotas d’Emissions) qui depuis 2005 concerne les grosses entreprises émettrices de CO2 (12000 environ en Europe, 1500 en France). L’objectif est d’harmoniser le coût du carbone émis partout en Europe. Cela concerne la chimie, le ciment, le raffinage pétrolier mais aussi la faible production d’électricité thermique française (4 à 6% selon les années). Les acteurs concernés doivent respecter des quotas d’émissions, ils peuvent en vendre ou en acheter selon les cas. Le prix de la tonne de CO2 fluctue en 2025 aux alentours de 70 euros mais il a atteint près de 100 euros en 2022. Ce prix est sensible aux opérations d’open market que peuvent mener les pouvoirs publics en injectant ou retirant des quotas. Ce coût du carbone vient parfois s’ajouter aux accises pour ceux qui y sont soumis. Ce marché du carbone sera étendu à d’autres activités dès 2027. Un nouveau système dit SEQE 2 adopté en 2023 (avec entrée en vigueur en 2027) concernera les émissions de CO2 des énergies fossiles utilisées dans les secteurs du transport routier, des bâtiments, des travaux publics et de la petite industrie. Notons que les quotas gratuits qui avaient été introduits pour ne pas trop pénaliser certaines industries tendent à être supprimés progressivement partout en Europe. À partir de 2024, 100 % des revenus du SEQE-UE sont exclusivement consacrés à des projets pour le climat, conformément à la législation européenne (selon les priorités de la Commission européenne). L’extension du prix du carbone aux carburants fossiles (essence, diesel, fioul) a pour but d’inciter les ménages et les entreprises à investir dans la rénovation énergétique, le chauffage électrique, le véhicule électrique. Il faudra néanmoins regarder comment cette extension impacte la taxe carbone dont il est question ci-après. Y aura-t-il superposition ou substitution entre les deux prix du carbone ?
  2. Une taxe carbone fixée au niveau national qui couvre les émissions de CO2 dans les secteurs non soumis au marché ETS. Cette taxe carbone est en fait une composante carbone intégrée à la fiscalité analysée ci-dessus (accises). Cette taxe ne s’ajoute donc pas aux accises, puisqu’elle en est une composante, mais elle a un impact sur leur montant. Le schéma ci-après donne l’évolution de cette taxe depuis 2014. Cette taxe est plafonnée à 44,6 euros par tonne de CO2 depuis 2018 suite aux contestations dites « des gilets jaunes ». L’Etat a renoncé à suivre le chemin qui avait été prévu initialement.

 

Le poids de la fiscalité énergétique dans les recettes de l’Etat

Il n’est pas aisé de déterminer ce poids pour plusieurs raisons. Il faut d’abord déterminer si l’on raisonne sur les administrations publiques (Etat et collectivités territoriales) ou sur l’Etat seul ; nous raisonnons ici sur l’Etat. Il faut ensuite ne pas confondre recettes brutes et recettes nettes de l’Etat : une partie des impôts collectés par l’Etat est versée aux collectivités territoriales voire à la sécurité sociale. C’est le cas notamment de la TVA dont une large proportion est aujourd’hui versée à ces collectivités territoriales. C’est aussi le cas des impôts sur l’énergie mais en plus faible proportion. Nous choisissons ici de raisonner sur les recettes nettes de l’Etat, après reversement. Il faut également tenir compte des exonérations dont bénéficient certains contribuables ; Il faut enfin choisir entre la loi de finances initiale (LFI) et la loi de règlement (LFR) après exécution du budget. Nous prenons en compte ici le budget de l’Etat tel qu’il a été exécuté en 2024. Il convient aussi de préciser que, si la composante carbone des accises est bien prise en compte ici, il n’en va pas de même pour les achats de quotas sur le marché européen du carbone auxquels certaines entreprises sont soumises. Tous les chiffres doivent donc être interprétés avec prudence.

Le schéma ci-après donne l’évolution des accises énergétiques inscrites au budget de l’Etat depuis 2008 (source : Cour des comptes avril 2025) :

On constate que le montant de ces accises pesant sur l’énergie se monte à 16,0 milliards d’euros en 2024. A cela il convient d’ajouter la TVA pesant sur les consommations d’énergie, pour un montant qui devrait approcher les 3 milliards d’euros (sur la base d’une TVA de 20%). La part des impôts sur l’énergie, TVA comprise, dans le budget de l’Etat serait donc de 5,8% (sur la base de 325,7 milliards d’euros de recettes fiscales totales pour l’Etat en 2024). Cela représente 0,6% du PIB de 2024 (PIB de 3162 milliards d’euros).

La décomposition des accises énergétiques (hors TVA) entre les diverses énergies concernées est fournie dans le schéma ci-après et montre que les accises sur les produits pétroliers représentent à elles seule 60% des prélèvements, suivies par l’électricité (32,8%) et loin derrière par le gaz naturel (5,3%) (source : estimations sur la base de données diverses, notamment SDES du ministère de l’écologie). Encore une fois les quotas de carbone ne sont pas inclus.

Pour être complet il faudrait aborder la question des « dépenses fiscales » c’est-à-dire de recettes auxquelles l’Etat renonce sous forme d’exonérations diverses. Le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (HCSP) estime à 52 milliards d’euros ces « non-recettes » fiscales pour 2023, ce qui est loin d’être négligeable. Ces exonérations portent en priorité sur la TVA et l’impôt sur les sociétés, mais une faible part concerne aussi les produits énergétiques.

Impacts sur la compétitivité des entreprises

Une baisse des accises sur l’électricité favoriserait-elle la compétitivité de l’industrie française ? L’électricité est plus chère en Europe qu’en Chine ou aux Etats-Unis. On sait que les prix de l’électricité en Chine sont artificiels tant sont nombreuses les aides accordées par l’Etat au secteur électrique. Aux Etats-Unis c’est le bas prix du gaz naturel qui explique largement le bas prix de l’électricité utilisée par l’industrie. Le gaz représentait 40,6 % de la production d’électricité américaine en 2024 contre 17,6% dans l’Union européenne en moyenne. Le charbon est lui aussi bon marché aux Etats-Unis et représentait encore 16,30% de cette production d’électricité en 2024. Le prix de l’électricité (hors taxes mais coût des réseaux compris) est en moyenne deux fois plus élevé dans l’Union européenne qu’aux Etats-Unis (18,7 centimes d’euro par kWh contre 8,3 centimes d’euro aux Etats-Unis en 2024), en partie parce que le prix du gaz naturel y est 3 à 4 fois plus élevé. Le gaz est marginal une bonne partie du temps sur le marché de gros européen de l’électricité (de l’ordre de 30%). Le gaz ne représente que 4 à 6% de la production d’électricité en France mais il est marginal entre un quart et un tiers du temps du fait des échanges aux frontières. Le gaz importé en Europe est de plus en plus du GNL américain et celui-ci rendu ports européens est sensiblement plus coûteux que le gaz russe livré par gazoducs, du fait des coûts élevés de la liquéfaction et du transport par méthaniers. Notons toutefois que le prix de l’électricité pour les industriels est plus faible en France que dans la majorité des autres pays de l’Union, excepté dans les pays nordiques qui disposent de capacités hydrauliques importantes.

La baisse du prix spot sur le marché de gros européen observée depuis 2024, qui s’accompagne néanmoins d’une forte volatilité des prix, est largement due à l’existence d’une surcapacité électrique imputable au développement des renouvelables mais cela ne doit pas faire illusion. Ces renouvelables bénéficient souvent d’un complément de rémunération financé par l’impôt à travers le mécanisme des CfD (Contracts for Differences ; on parle de complément de rémunération), de sorte que ce que le consommateur gagne sur le spot est compensé par une hausse des impôts payés par le contribuable.

(1) 18,7 centimes d’euro par kWh en Europe correspond à 187 euros/ MWh. Il s’agit là d’une moyenne (comme d’ailleurs le chiffre 8,35 aux Etats-Unis). L’écart de prix entre une PME et un électro-intensif est énorme. A titre indicatif certains électro-intensifs négocient avec EDF à un prix de l’ordre de 70 euros/MWh « sortie centrale » (via des CAPN). Ce prix ne peut guère baisser davantage puisque la CRE vient de publier en septembre 2025 un rapport fixant à 60,3 euros le coût du MWh nucléaire du parc historique. Certains industriels demandent 50 euros/MWh ce qui reviendrait à pratiquer des subventions croisées entre consommateurs, au détriment du secteur domestique. A ce prix de l’ordre de 70 euros s’ajoute l’accise qui, pour certains électro-intensifs, n’est que de 0,50 euro/MWh, chiffre en vigueur jusqu’au 31/12/2025 (source BOFIP, 2025) ; si l’on y ajoute le coût du péage d’accès au réseau de transport qui est de l’ordre de 10% du TURPE (ces entreprises ne paient pas le coût de la distribution) donc de l’ordre de 7 à 8 euros/MWh, on aboutit à 77 à 78 euros/MWh au total. On peut donc estimer que la grande industrie paie un prix de l’électricité qui se situe dans la fourchette 80-100 euros/MWh, selon le type d’entreprise et son secteur d’activité. On est loin de ce chiffre pour les petites, moyennes et très petites entreprises qui représentent la majorité des entreprises industrielles et qui paient leur électricité à un niveau bien plus élevé.

Conclusion

Une baisse des accises sur l’électricité profiterait sans aucun doute aux ménages et aux petites et moyennes entreprises, moins à la grande industrie qui bénéficie déjà de fortes voire très fortes réductions (comme c’est aussi le cas pour les tarifs d’accès aux réseaux). Il faut rappeler que les PME sont fortement présentes dans le secteur industriel et que leur compétitivité serait améliorée si le montant de ces accises était revu à la baisse. Une baisse du taux de la TVA avantagerait les seuls ménages, pas les entreprises. Pour les électro-intensifs c’est au niveau du coût de fourniture du MWh que se trouve des marges de manoeuvre. On peut penser aux marges des fournisseurs d’électricité mais aussi et surtout au coût de production de l’électricité. L’Europe n’a pas accès à un gaz bon marché, comme c’est le cas aux Etats-Unis, pour produire son électricité et une baisse des accises n’est pas de nature à compenser cet inconvénient.

Une baisse du coût du carbone n’aurait pas beaucoup d’impact sur le coût de production du MWh français au vu du faible poids des énergies fossiles dans cette production ; elle pourrait néanmoins impacter un peu le coût de l’électricité importée du fait des interconnexions transfrontalières puisque la part du gaz dans la production d’électricité y est plus forte. Cette baisse du coût du carbone aurait en revanche un impact important sur le coût de production des entreprises qui doivent acquérir des quotas de carbone, une contrainte que n’ont pas leurs concurrents américains (sauf rares exceptions dans quelques Etats fédérés). Il s’agit là de quotas liés aux consommations intermédiaires dues aux usages du gaz naturel ou à ceux d’autres matières premières, le charbon sidérurgique ou le charbon-vapeur notamment. On pourrait d’ailleurs dire la même chose des charges sociales qui pèsent sur le coût du travail, en France particulièrement.

Le faible coût du nucléaire historique largement amorti est en revanche un avantage pour l’industrie française et la signature de CAPN (Contrats d’Allocation de Production Nucléaire), ou même de simples PPA (Power Purchase Agreement), est une solution que les électro-intensifs semblent aujourd’hui privilégier à juste titre pour stabiliser à un niveau acceptable le coût d’accès à l’électricité. Une incertitude supplémentaire concernant l’évolution du prix spot de l’électricité doit être prise en considération du fait de l’introduction le 1er octobre 2025 d’enchères pay as clear toutes les 15 minutes (et non plus toutes les heures) sur le marché de gros day-ahead. Choisir des contrats hors marché sous forme de PPA ou CAPN met largement à l’abri des incertitudes et de la volatilité des marchés spot.

En conclusion on constate que la fiscalité énergétique pèse pour l’essentiel sur les ménages, les artisans et les petites et moyennes entreprises. Les grandes entreprises (en particulier les électro-intensifs) bénéficient de larges exonérations.
Il importe de prendre avec précaution certains chiffres présentés ici, d’abord parce que ce sont souvent des ordres de grandeur qui recouvrent des réalités diverses à partir de documents qui ne convergent pas toujours, ensuite parce que les prix portant sur la fourniture d’électricité négociés dans les contrats industriels (avec EDF) sont souvent confidentiels donc difficiles à estimer. Pour être complet il faudrait faire des études de cas par branches industrielles et types d’entreprises. Il ne faut pas oublier non plus que les prix de vente payés par les consommateurs sont parfois jugés excessifs mais qu’ils doivent couvrir les coûts des opérateurs et procurer des marges pour investir. La fiscalité a aussi pour fonction de financer les dépenses collectives dont profitent les entreprises comme les ménages.

Jacques Percebois

 

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