Hydrogène
12/11/2023 | Questions énergétiques production et transition
Sylvain Hercberg
Ingénieur
Ingénieur de l’aéronautique et de l’espace, docteur en sociologie, auditeur de la 53eme session nationale de l’IHEDN. Membre du conseil scientifique de la fondation Res Publica, du comité éditorial de Passages et du CA de Le pont des idées.
L'essentiel
L’hydrogène utilisé dans les processus industriels (pétrochimie, fabrication d’engrais, production de méthanol, source d’énergie pour le spatial) ; il est également considéré comme un vecteur énergétique pertinent pour se substituer aux énergies fossiles dans tous les usages où c’est possible. Il faut pour cela qu’il soit dorénavant produit non carboné.
N’existant guère dans la nature à l’état pur, il est produit aujourd’hui principalement par vaporeformage de gaz naturel fortement émetteur de CO2 pour un coût de 1,5 à 2 €/kg ; il convient pour en faire un vecteur énergétique de le produire à un coût compétitif par la conversion de matières existantes essentiellement l’eau (H2O) par électrolyse et de mettre au point des convertisseurs adaptés aux usages attendus, notamment la mobilité ou la chaleur. Actuellement les technologies d’électrolyse conduisent à des coûts de 4 à 6 €/kg et on espère atteindre 3 €/kg d’ici 2030. Il existe de l’hydrogène dans le sous-sol ; plusieurs années voire une ou deux décennies seront nécessaires pour conclure sur un possible usage.
Pour ses usages :
- on pense à la chaleur par mélange avec du gaz naturel et la fabrication de gaz de synthèse ;
- s’agissant de la mobilité cela nécessite d’intégrer le réservoir d’hydrogène, une pile à combustible produisant l’électricité, une batterie intermédiaire entre la pile à combustible puis le moteur électrique. Le coût complet d’un véhicule à hydrogène est donc nettement supérieur à celui d’un véhicule électrique sur batterie, ce qui conduit à réserver la mobilité hydrogène aux transports lourds routier ou ferroviaire et non aux véhicules individuels ou de transport léger. Pour ce qui concerne le transport aérien, le volume et le poids du réservoir sont des obstacles majeurs à l’emploi de l’hydrogène pour des vols longs;
- certains évoquent que le stockage inter-saisonnier de l’énergie pourrait trouver sa solution par l’hydrogène selon une chaîne électricité-hydrogène-électricité ; mais elle conduit à un coût final prohibitif par rapport au prix de l’électricité de réseau. De telles solutions ne sont envisageables que pour des zones très isolées et sans autres ressources énergétiques: c’est donc surtout dans l’industrie que l’usage d’hydrogène produit non carboné est appelé à se développer.
D’un point de vue géopolitique l’hydrogène, plus exactement les modalités de sa production et de son utilisation, devient un enjeu de politique industrielle : compétition et concurrence dure vont progressivement caractériser une industrie naissante.
La Chine et les Etats-Unis vont probablement prendre le leadership dans la capacité installée en électrolyseurs, l’Europe jouant le rôle de brillant troisième du peloton seulement si les annonces sont suivies de réalisations.
Pour ce qui concerne l’Europe le pacte vert pour l’industrie vise une croissance rapide de l’utilisation de l’hydrogène. Encore faut-il développer un réseau de transport et de stockage, ainsi que des infrastructures portuaires si l’ambition, notamment allemande, d’importer de l’hydrogène d’outre-mer devait se concrétiser ce qui est douteux. Cette importation pourrait se faire, soit par réseau de gazoducs dédiés, soit par transport maritime d’hydrogène liquide à -253°C (à comparer avec le GNL transporté à -161°C), nouveau défi majeur. D’autre part, la production par électrolyse nécessite le développement du système électrique décarboné avec une attention particulière au coût de l’électricité. Enfin, l’approvisionnement en matières premières, cuivre, nickel, terres rares, catalyseurs, doit être sécurisé.
Avant de conclure sur l’existence ou non d’un modèle d’affaires sur la longue duré, nous recommandons de ne pas céder à l’enthousiasme du moment et de garder une prudente circonspection.
Sylvain Hercberg
Hydrogène
Temps de lecture : 14 minutes
L’hydrogène est aujourd’hui l’objet d’un intérêt concrétisé par de nombreuses décisions, par l’élaboration de programmes et de projets industriels. Réduire les émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le changement climatique conduit en effet à vouloir substituer un vecteur énergétique non carboné au charbon, au gaz et au pétrole dans tous les usages où cela est possible. L’atout principal de l’hydrogène est sa densité massique, 3 à 4 fois celle des combustibles fossiles. Cependant sa densité volumique est très mauvaise : pour le stocker et le transporter il faut le comprimer et/ou le liquéfier ce qui pose de nombreux problèmes (cf. suite).
L’hydrogène n’existant pas ou peu dans la nature, il convient pour en faire un vecteur énergétique de le produire par la conversion de matières existantes et de mettre au point des convertisseurs adaptés aux usages attendus, notamment la mobilité ou la chaleur. Aujourd’hui, la production d’hydrogène est principalement destinée à l’industrie, pour des usages très spécifiques ; Il est alors produit principalement par vaporeformage[1], moins coûteux que des méthodes alternatives et de la chaîne de valeur de la production aux utilisations. Mais il conviendrait que la production de ce vecteur soit décarbonée pour pouvoir contribuer à la maîtrise du changement climatique, ce qui n’est pas le cas du vaporeformage.
L’intérêt de l’hydrogène est de disposer d’un vecteur énergétique décarboné ; les nombreux programmes de recherche et de développement visant à disposer de ce nouveau vecteur doivent viser un coût complet d’utilisation en assurant la compétitivité.
Production d’hydrogène : quelques considérations technologiques et économiques
Qu’en est-il de l’hydrogène aujourd’hui ?
La production mondiale d’hydrogène est de l’ordre de 95 à 100 millions de tonnes par an, dont plus de 95% à partir d’énergies primaires fossiles par vaporeformage de gaz naturel. La chaîne industrielle est parfaitement maîtrisée par l’industrie chimique ; la production, aujourd’hui centralisée, est, de plus, financièrement attractive (1,5 à 2 € par kg d’hydrogène). Seuls moins de 1% sont produits en bas carbone par électrolyse de l’eau de saumure destinée à la production de chlore.
L’usage industriel de l’hydrogène est une réalité ancienne : pétrochimie, fabrication d’engrais, production de méthanol, source d’énergie pour le spatial ; hormis le spatial, l’hydrogène énergie consommé est de quelques centaines de tonnes par an, il s’agit alors d’hydrogène quasiment pur. Si l’on s’intéresse à la mobilité accompagnée de piles à combustible[2], le niveau de pureté requis (99,9995%) pour ne pas perturber le fonctionnement conduit à s’intéresser à sa production par l’électrolyse. Cela explique la démarche conduisant à coupler la production d’hydrogène avec la production d’électricité non carbonée d’origine renouvelable ou nucléaire ; encore faut-il, s’il s’agit d’électricité renouvelable intermittente, disposer d’électrolyseurs adaptés au suivi de charge. Et, bien entendu, le coût complet doit être acceptable pour l’utilisateur final.
Un mot sur le vaporeformage
L’hydrogène n’étant pas une énergie primaire disponible, il doit être « extrait » de ses composés. Le procédé le plus employé est le vaporeformage du méthane. Des catalyseurs sont indispensables et les émissions de gaz carbonique sont importantes, de l’ordre de 10 tonnes pour une tonne d’hydrogène soit un milliard de tonnes de gaz carbonique, à peu près autant que l’aviation, pour la production mondiale actuelle d’hydrogène.
Un mot sur l’électrolyse
L’électrolyse consiste à séparer l’hydrogène de l’oxygène de l’eau sous l’effet d’un courant électrique.
Trois technologies d’électrolyse existent à des stades de maturité différents:
- L’électrolyse alcaline est mature; elle fait appel à des électrolytes corrosifs à base de potasse et à des électrodes en nickel. Sa production est peu modulable donc peu adaptée aux sources d’électricité intermittentes. Le coût de production est aujourd’hui de l’ordre de 4 à 5 € par kg.
- L’électrolyse à membrane protonique a un rendement plus élevé, de l’ordre de 70%, mais la durée de vie de ces électrolyseurs est limitée, de l’ordre de 10 ans ; ces électrolyseurs sont compatibles avec des sources intermittentes d’électricité ; ils n’utilisent pas d’électrolyte liquide mais font appel à des métaux rares tels que le platine utilisé comme catalyseur. Le coût de production de l’hydrogène est de l’ordre de 5 à 6 € le kg.
- L’électrolyse haute température est plus loin de la maturité, attendue au mieux d’ici 2030 ; les rendements espérés sont très élevés (80 à 90%), mais la nécessité de stabilité de la température de fonctionnement limite la modulation donc l’alimentation en électricité intermittente. Le rendement espéré et un coût d’investissement inférieur du fait de l’absence de métaux nobles pourraient conduire à un coût de l’ordre de 3 € le kg.
La question du coût est centrale : l’électrolyse doit pouvoir concurrencer la production par vaporeformage. L’arrivée massive des énergies renouvelables intermittentes, solaire et éolien, contribue et contribuera, à côté du nucléaire et de l’hydroélectricité, à la décarbonation de la production d’hydrogène. Encore faut-il intégrer l’électricité intermittente sur le réseau, ce qui nécessite interconnexions, stockage, leviers de flexibilité, sans oublier le backup par une production centralisée pilotable en cas de manque d’ensoleillement et de vent ; celui-ci ne peut se faire que par des centrales thermiques utilisant des fossiles ou par du nucléaire et de l’hydraulique. Cela implique que le coût de mise en œuvre des énergies intermittentes est plus élevé que celui généralement annoncé.
Le coût de l’électricité étant la variable importante, deux orientations s’imposent pour l’Europe : en premier lieu raisonner en coût complet du kWh électrique vu du consommateur qu’est l’opérateur des électrolyseurs et limiter drastiquement sa production à base de combustibles fossiles, ce qui doit logiquement conduire les Etats membres dont la production est très carbonée, notamment l’Allemagne, à changer leur mix et à importer massivement de l’énergie non carbonée si nécessaire. L’hydrogène pourrait alors être une solution s’il est produit avec de l’électricité non carbonée. Il convient à cet égard de sortir des débats abscons portant sur la « couleur » de l’hydrogène, du vert au gris ou noir en passant par le rose selon l’origine de l’électricité, débats sous-tendus par des intérêts politiques et commerciaux.
Un mot sur l’hydrogène produit par thermolyse de biomasse
Il est également possible de produire de l’hydrogène par thermolyse de biomasse selon la solution Hynoca développée par la société française Haffner Energy. On fait chauffer la biomasse à 500°C pour une phase dite de thermolyse durant laquelle environ 20% de la masse totale de la matière entrante se transforme en un produit solide, le biochar, et les 80% restants en gaz. Le biochar peut être utilisé pour améliorer la qualité de rétention en eau des sols agricoles : il est, pour l’essentiel, composé de carbone, auquel s’ajoute notamment entre 1 et 2% de minéraux et de métaux (en particulier du fer, du zinc, du cuivre, très peu de métaux lourds). Enfoui dans le sol cela revient à de la captation de carbone. Le gaz, ou « vapeurs de thermolyse » composées pour l’essentiel de longues chaînes de molécules, est alors chauffé à 1000°C. Cette phase de vapocraquage permet de produire un gaz de synthèse constitué de petites molécules : de l’hydrogène pour l’essentiel, mais aussi un peu de méthane, de monoxyde et dioxyde de carbone et de l’eau. Une fois lancé, le système s’auto-entretient. Au final, presque 70% de l’énergie primaire sous forme de biomasse est convertie en hydrogène. Ce dispositif conduit à un coût de l’ordre de 4 à 5€ le kg compétitif avec les projets d’électrolyse de taille moyenne.
Un mot sur l’hydrogène naturel
Il existe de l’hydrogène dans le sous-sol et la recherche a commencé dans plusieurs pays. Elle vise à identifier les zones où des réactions produisant de l’hydrogène peuvent se produire sous l’effet de la pression et de la température : effets de la radioactivité naturelle, de l’oxydation de roches, et de la maturation de matières organiques, de l’évolution des gaz volcaniques, … Plusieurs années voire une ou deux décennies seront nécessaires pour conclure sur un possible usage.
Usages de l’hydrogène : quelles perspectives ?
Sous réserve bien sûr de capacités de productions électriques non carbonées, l’hydrogène peut devenir un vecteur énergétique. Encore faut-il disposer des technologies de conversion adaptées aux usages, chaleur, électricité pour la mobilité, fabrication de composés de synthèse, gestion du système électrique, stockage d’énergie, etc. Encore faut-il assurer que le coût complet d’utilisation soit compétitif avec les solutions aujourd’hui éprouvées et mises en œuvre.
Les perspectives d’utilisation de l’hydrogène sont régulièrement évoquées depuis fort longtemps, avec par exemple un temps fort au moment du premier choc pétrolier de 1973. Très vite, les principaux défis sont apparus, portant notamment sur la mise en place de filières industrielles. Avec la transition énergétique, ces perspectives ont retrouvé un intérêt dans l’actualité et de nombreux appels à projet ont vu le jour, susceptibles de bénéficier de marchés publics ou de subventions.
Et les enjeux sont désormais clairement formulés : la compétitivité du point de vue des utilisateurs finaux, la sécurité sachant que l’hydrogène est un produit chimique dangereux du fait de son pouvoir détonant et de la température de sa flamme.
Chaleur
Le concept de power-to-gas a été élaboré pour rendre compte de la possibilité de valoriser l’hydrogène en le produisant avec les surplus de production d’électricité intermittente qui apparaissent quand celle-ci dépasse la demande. Deux approches focalisent les études : le mélange avec le gaz naturel et la fabrication de gaz de synthèse. Il est en effet possible d’injecter de l’hydrogène dans le réseau de gaz, en sachant que la température de combustion de ce mélange sera supérieure à celle de la combustion du méthane seul ; ce qui conduit à une réglementation limitant le volume d’hydrogène injecté à quelques pourcents, variable selon les pays, et cela permet de bénéficier du réseau gazier existant. La méthanation, production de méthane de synthèse, consiste à faire réagir du gaz carbonique avec de l’hydrogène pour former du méthane. Mais son coût est très élevé : production d’hydrogène, captage du gaz carbonique difficile et cher, bien supérieur au niveau des prix sur le marché du carbone.
Mobilité
La mobilité nécessite le développement d’une nouvelle conception des véhicules pour intégrer le réservoir d’hydrogène, la pile à combustible produisant l’électricité utilisée par les moteurs électriques, et une batterie intermédiaire entre la pile à combustible et les moteurs. Tous ces éléments sont connus et maîtrisés, mais à un coût élevé principalement dû aux technologies employées : le réservoir pour contenir l’hydrogène sous une pression de 700 bars coûte plusieurs milliers d’euros ; la pile à combustible reste très chère du fait des matériaux utilisés, par exemple le platine servant de catalyseur. Les perspectives annoncées pour diminuer la quantité de platine ou le remplacer par un catalyseur moins cher ne sont pas à ce jour concrétisées à l’échelle industrielle. Par ailleurs, sachant que le rendement de l’électrolyse est de l’ordre de 60 à 70% et celui des piles à combustible d’environ 50%, le rendement de l’électricité pour un véhicule à hydrogène est de l’ordre de 30%, alors qu’il est de 70 à 80% pour un véhicule électrique à batterie. Le coût d’achat de la berline reste aujourd’hui très élevé, du même ordre que celui d’une voiture à moteur à combustion interne de très haut de gamme, et le coût complet de possession et d’utilisation d’un véhicule à hydrogène est donc nettement supérieur à celui d’un véhicule électrique, ce qui conduit à réserver la mobilité hydrogène aux transports lourds routier ou ferroviaire, qui seront plus difficiles à électrifier par des batteries, et non aux véhicules individuels ou de transport léger.
Pour ce qui concerne le transport aérien, le volume et le poids du réservoir sont des obstacles majeurs à l’emploi de l’hydrogène. De plus, il conviendrait, même avec un coût de l’hydrogène produit par électrolyse en forte diminution devenu compétitif, de disposer sur le territoire des infrastructures nécessaires au stockage et à la distribution de l’hydrogène.
Stockage d’électricité
Pour certains la question du stockage inter-saisonnier de l’énergie pourrait trouver sa solution par l’hydrogène. En effet la réaction inverse à l’’électrolyse de l’eau peut être réalisée, faisant réagir de l’hydrogène et de l’oxygène pour produire de l’eau, de l’électricité et de la chaleur. Mais cette chaîne électricité-hydrogène-électricité conduit à un coût final prohibitif par rapport au prix de l’électricité de réseau. De telles solutions ne sont envisageables que pour des zones très isolées et sans autres ressources énergétiques.
Utilisations industrielles
En plus des usages actuels de l’hydrogène dans l’industrie, comme la synthèse NH3 et le raffinage continueront, plusieurs projets de démonstration sont maintenant opérationnels ou en voie de l’être, dans la sidérurgie, la fabrication de céramiques et de verre, …. Il faudra que ce soit avec de l’hydrogène produit non carboné. Des développements technologiques sont nécessaires, telle que la substitution d’hydrogène au mélange hydrogène et monoxyde de carbone comme gaz réducteur pour la sidérurgie.
En conclusion, on peut dire sans risque d’erreur que l’hydrogène :
- sera utilisé essentiellement pour l’industrie pour la décarbonation des procédés (acier etc.), du raffinage , la production d’engrais etc.
- ne sera pas utilisé pour la mobilité individuelle qui sera électrique mais peut-être pour les transports lourds
- ne sera pas utilisé ou marginalement pour le chauffage (qui sera de plus en plus électrique ou gaz décarboné ou naturel) et pour le stockage (rendements trop mauvais)
L’hydrogène du point de vue géopolitique et du point du vue institutionnel
Des annonces et perspectives qui précèdent, il apparaît clairement que l’hydrogène, plus exactement les modalités de sa production et de son utilisation, devient un enjeu de politique industrielle : compétition et concurrence dure vont progressivement caractériser une industrie naissante. Les défis sont maintenant bien identifiés : percées technologiques, réduction des coûts de production et de distribution, disponibilité des matières et des composants élémentaires, … Des politiques publiques et des politiques de soutien aux investissements sont décidées dans un grand nombre de pays.
Les orientations et préconisations de l’Agence Internationale de l’Energie
L’Agence Internationale de l’Energie a commencé à actualiser ses perspectives sur l’hydrogène au début des années 2010, et publie maintenant régulièrement sa vision de l’apport possible de l’hydrogène à la maîtrise du changement climatique ; encore faut-il que ce soit de l’hydrogène « propre » et que les gouvernements soient ambitieux, adoptent les bonnes « règles du jeu » et mettent en place les bonnes politiques. Encore faut-il évaluer correctement les horizons de temps pour l’arrivée à maturité des technologies requises, sans optimisme déplacé, sans pessimisme décourageant.
Par ailleurs, les coûts importants d’investissement pour les équipements de la chaîne de valeur sont une réalité ; cela réduit l’impact des soutiens publics. L’AIE a préconisé une implication importante des Etats par des politiques publiques visant à :
- Adopter et développer une stratégie hydrogène,
- Mettre en place les incitations nécessaires pour réduire les risques pour l’investisseur : prix plus élevé sur le marché du carbone, seuils imposés d’utilisation de l’hydrogène, enchères, …
- Stimuler les investissements pour accélérer la demande d’hydrogène,
- Soutenir les politiques de R&D et d’innovation pour réduire le coût des technologies critiques,
- Adopter la normalisation et la réglementation nécessaires pour la diffusion des usages,
- Favoriser l’acceptation par la population de cette nouvelle industrie.
Des initiatives dans le monde
Selon l’AIE, environ 40 pays ont annoncé une stratégie hydrogène, mais leur mise en œuvre ralentit. Dans ses estimations les plus récentes, 175 GW d’électrolyseurs pourraient être opérationnels en 2030 contre 3 GW en 2022, pour une production bas carbone de 38 millions de tonnes ; mais la décision d’investissement dans les électrolyseurs n’est prise que pour moins de 10% des projets annoncés.
La Chine est récemment devenue leader dans l’utilisation des électrolyseurs avec 50% de la capacité installée dans le monde. Les projets se multiplient en Europe où plusieurs GW d’électrolyseurs pourraient être installés entre 2025 et 2030 (Norvège, Portugal, Espagne, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, …) ; l’objectif affiché par l’UE est la production de 10 millions de tonnes d’hydrogène non carboné en 2030, objectif dont la faisabilité doit encore être démontrée. Et une mention particulière doit être faite pour la France, avec un soutien public de 700 millions d’euros en 2024 pour disposer de 150 MW d’électrolyseurs en 2024, 250 MW en 2025 et 600 MW en 2026. Ainsi les Etats européens pourraient être des acteurs importants, alors que la compétition se durcit : projets en Amérique latine et en Australie, impact de l’Inflation Reduction Act aux Etats-Unis, initiatives des Etats du Golfe pour produire de l’hydrogène ensuite transporté vers le reste du monde, en priorité l’Europe ; et il convient de s’interroger sur l’ambition allemande de produire de l’hydrogène dans les pays du Maghreb pour l’acheminer ensuite vers l’Europe, projet qui rappelle le projet Desertec de 2005-2006 pour transporter de l’électricité d’origine renouvelable d’Afrique du nord vers l’Europe, abandonné vu son coût et surtout le refus des pays du Maghreb de produire pour exporter alors que leurs propres besoins sont immenses.
De fait, il semble que la Chine et les Etats-Unis vont probablement prendre le leadership dans la capacité installée en électrolyseurs, l’Europe jouant le rôle de brillant troisième du peloton seulement et seulement si les annonces sont suivies de réalisations. L’Inde a également une forte ambition pour la production d’hydrogène, mais en utilisant prioritairement le charbon dont elle dispose en abondance pour produire l’électricité. Alors que la compétition est lancée, des coopérations entre Etats sont-elles possibles ou une nouvelle composante de la problématique de la sécurité d’approvisionnement en énergie est-elle sur le point d’émerger ?
Pour ce qui concerne l’Europe
La pacte vert pour l’industrie vise une croissance rapide de l’utilisation de l’hydrogène. Encore faut-il développer un réseau de transport et de stockage, ainsi que des infrastructures portuaires si l’ambition, notamment allemande, d’importer de l’hydrogène d’outre-mer devait se concrétiser.
Cette importation pourrait se faire, soit par réseau de gazoducs dédiés, soit par transport maritime d’hydrogène liquide à -253°C (à comparer avec le GNL transporté à -161°C), nouveau défi majeur, ce qui est complexe et pose des problèmes de sureté et de sécurité difficiles à traiter. D’autre part, la production par électrolyse nécessite le développement du système électrique décarboné avec une attention particulière au coût de l’électricité vu des opérateurs des électrolyseurs, coût qui doit être aussi bas et aussi stable que possible dans le temps ; ce qui conduit à une réforme importante du marché de l’électricité pour donner la visibilité nécessaire dans la durée aux industriels concernés.
Enfin, l’approvisionnement en matières premières, cuivre, nickel, terres rares, catalyseurs, doit être sécurisé. Cela peut-il se faire avec des accords commerciaux et des partenariats ? Cela peut-il se faire alors que la compétition s’accélère ? Cela doit-il se faire d’abord en développant la production de ces matières dans les Etats membres de l’UE ? En un mot, comment disposer de la souveraineté en énergie et éviter de nouvelles dépendances pour conserver la capacité d’initiative suffisante ainsi qu’une position éminente dans le monde ?
Pour résumer
La compétitivité de l’hydrogène est une variable clé ; elle dépend de la maturité des technologies de production et d’utilisation, et des conditions d’industrialisation. C’est pourquoi la R&D et l’expérimentation sont incontournables : comprendre les attentes, élaborer des modèles technico-économiques pertinents pour toute la chaîne de valeur, faire évoluer la réglementation, choisir lucidement les secteurs d’utilisation de l’hydrogène en tenant compte des trois objectifs principaux de toute politique de l’énergie que sont la sécurité d’approvisionnement, la maîtrise du changement climatique, le coût le plus faible pour les consommateurs.
Une approche complète s’impose, visant à pouvoir conclure sur l’existence ou non d’un modèle d’affaires sur la longue durée. Nous recommandons pour notre part de ne pas céder à l’enthousiasme du moment et à garder une prudente circonspection.
Sylvain Hercberg
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[1] Le vaporeformage ou reformage à la vapeur est un procédé de production de gaz de synthèse riche en hydrogène. Cette réaction d’hydrocarbures, principalement du méthane, en présence de vapeur d’eau est fortement endothermique.
[2] Une pile à combustible, ou PAC, est un générateur énergétique qui transforme de l’hydrogène combiné à l’oxygène de l’air pour produire de l’eau et de l’électricité qui alimente un moteur électrique de voiture, de bus, de camion …
L ‘engouement de certains politiques avec la résonance médiatique automatique ! me semblait irresponsable économiquement parlant,,,,Ayant des compétences* modestes, j allais proposer au « thing tank »de bàtir une étude pour une mise au net ,argumentée de cette source d énergie ( qui ne peut étre banalisée pour toutes applications communes .(Ce n était qu’une pseudo -solution et manipulation à mon avis * ),,,,,,,,,, Monsieur Hercberg vous avez fait cette analyse et j ai trouvé réponses ,,,,
je vous en remercie et souhaite que votre audience soit le plus large possible