Propositions pour faire de la France, par la voie de l’Europe, une grande puissance numérique, socialement responsable et profondément démocratique.

29/06/2023 | Numérique IA Télécoms

Louis Cougouille

Louis Cougouille

ingénieur

Louis est Directeur Produit des infrastructures de Cloud Computing au sein d’une grande banque française.

L’être humain croira toujours que plus le robot paraît humain, plus il est avancé, complexe et intelligent.

Isaac Asimov

Propositions pour faire de la France, par la voie de l’Europe, une grande puissance numérique, socialement responsable et profondément démocratique.

Temps de lecture : 14 minutes

L’Europe face à la quatrième révolution industrielle

La révolution numérique ou la quatrième révolution industrielle

Les avancées technologiques majeures dans les domaines de l’Intelligence Artificielle, de l’Internet des objets et de la robotique propulsent le monde dans la quatrième révolution industrielle, également nommée révolution numérique ou révolution industrielle 4.0.

Visant à améliorer de manière significative la productivité et l’efficacité par l’automatisation des tâches, la qualité et la précision par la détection et la correction automatique d’erreurs, la communication et la collaboration par les interactions en temps-réel entre les machines, les systèmes et les individus, ces avancées technologiques vont transformer de manière significative les industries et la société de manière générale et donner lieu à l’émergence de nouveaux modèles économiques, de nouveaux processus de production et de nouvelles organisations du travail.

Il s’agit d’une révolution systémique qui impacte l’ensemble des secteurs d’activité de l’économie y compris les secteurs les plus vitaux : l’énergie, l’éducation, la santé, les transports, les communications, le secteur bancaire, la finance, la police et l’armée.

Gage d’opportunités pour les entreprises françaises et européennes à la recherche de nouveaux leviers de compétitivité et pour les administrations et services publics qui souhaitent se moderniser et gagner en efficacité, la révolution numérique apporte aussi son lot de craintes et de menaces qui méritent un traitement politique approprié par une force de gauche sociale-démocrate. Comment la France et les pays européens peuvent-ils créer les conditions de réussite de leurs entreprises dans une compétition mondiale actuellement archi dominée par des puissances non européennes, Etats-Unis et Chine au premier chef ? Comment l’Europe peut-elle gagner en autonomie, garantir sa souveraineté et protéger son patrimoine informationnel alors que la guerre est de retour sur le continent, que les menaces cyber sont grandissantes et que le traitement des données et l’exécution des services numériques européens reposent massivement sur des infrastructures non européennes ? Comment la France et les pays européens peuvent-ils garantir l’accès à tous leurs citoyens aux services numérique, et permettre à ces derniers de tirer pleinement bénéfice de la révolution en marche dans un contexte de transformation majeure des organisations et des méthodes de travail ? Comment faire en sorte de revitaliser les démocraties européennes et de protéger les citoyens face à la désinformation, au fanatisme, au complotisme qui sévissent en ligne et aux décisions opaques et automatiques des algorithmes ? Enfin, comment l’Europe peut-elle apporter une réponse exemplaire au défi de l’urgence climatique et consommer de manière responsable les ressources colossales nécessaires à la société numérique ?

Le nouvel ordre mondial en matière de numérique

Les plateformes de services numériques constituent le moteur nécessaire à l’économie numérique tandis que les données des individus, des collectivités, des États et des entreprises en sont le carburant, le fameux « or noir » de l’industrie numérique qui, par son exploitation via des algorithmes, crée toute la valeur.

Parce qu’elle n’a pas su apporter un cadre normatif approprié, parce qu’elle n’a pas réussi à fédérer les moyens financiers nécessaires, et surtout parce que ses États constitutifs ont caressé l’illusion de développer par eux-mêmes des plateformes sur des marchés intérieurs de trop petite taille, l’Europe a laissé passer sa chance de développer, il y a vingt ans, les acteurs technologiques capables de rivaliser avec les géants américains ou chinois. A titre d’exemple, les projets français de plateformes de cloud souverain (Andromède, CloudWatt et Numergy) menés ces dix dernières années se sont soldés par des échecs.

L’Europe a donc laissé à des acteurs non européens, les GAFAM[1], les NATU[2] ou autres BATX[3], le soin de concevoir et de réaliser les outils qui façonnent l’univers numérique au sein duquel nous évoluons. Et le leadership de ces acteurs est renforcé par des effets d’agglomération : les services qu’ils offrent, les infrastructures qu’ils possèdent, les données qu’ils contrôlent les rendent incontournables pour les consommateurs et les entreprises. Les parts de marché qu’ils détiennent et leur capitalisation boursière reflètent une position hégémonique préoccupante.

En outre, les pays comme les États-Unis, la Chine, la Russie ou Israël font du numérique, non seulement, un outil moderne de développement économique, mais aussi, un outil de puissance, voire de guerre, et rivalisent d’efforts pour acquérir la maîtrise des nouvelles technologies et accroître leur domination.

Face à ce nouvel ordre mondial et compte tenu des enjeux économiques, sociaux, éthiques, environnementaux et démocratiques sous-tendus par la révolution numérique, l’Europe doit réagir par une réponse politique forte et il appartient à la gauche sociale-démocrate de donner un nouvel élan à cette politique.

Des enjeux vitaux pour la France

Enjeux de compétitivité des entreprises et de modernisation des administrations

Le numérique est un gisement de croissance et de compétitivité unique pour les entreprises françaises mais ces dernières, en particulier les TPE-PME, ne disposent pas forcément des moyens financiers, des compétences et des services d’infrastructure et de sécurité nécessaires à leur transformation. Même si elle a commencé à rattraper son retard en matière d’e-administration, la France peine à moderniser ses administrations qui souffrent d’un manque d’efficacité, de qualité de services, dans un moment crucial où il convient de redynamiser les interactions de vie publique sur tout le territoire et de lutter contre la fracture numérique. Les entreprises et les administrations de toutes tailles doivent donc être soutenues et accompagnées par des politiques publiques susceptibles de leur donner le cadre normatif, les moyens financiers et les services nécessaires à la réussite de leur transformation numérique.

La compétitivité est conditionnée par une juste fiscalité appliquée à tous les acteurs engagés dans la compétition. Les géants du numérique viennent concurrencer les entreprises françaises dans de nombreux secteurs de l’économie mais les bénéfices qu’ils engrangent sur le territoire français sont imposés dans les pays d’Europe à fiscalité avantageuse, pays dans lesquels ils ont implanté leur siège social. Ces dernières années, des progrès ont été réalisés pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale des géants du numériques : en 2019, la France a adopté la « taxe GAFA[4] » qui rapporte aujourd’hui plusieurs centaines de millions d’euros annuels à l’état français, et en décembre dernier, les vingt-sept pays de l’Union Européenne se sont mis d’accord pour transcrire en droit européen le projet de taxation des bénéfices des grandes entreprises à 15% que l’OCDE a élaboré[5] avec un objectif de mise en œuvre effective en 2024. Cependant, de nombreuses analyses montrent que le taux de 15% est trop bas en regard des taux nominaux appliqués aux entreprises qui n’exercent que sur un territoire national, et surtout que le système obsolète en place va perdurer : les multinationales numériques auront toujours intérêt à organiser leurs filiales et à faire des transferts de bénéfices vers des pays à fiscalité avantageuse. L’ambition que doit porter la gauche sociale-démocrate française par la voie de l’Europe est donc celle d’une véritable réforme du système fiscal afin d’imposer les multinationales selon les activités réelles qu’elles ont et la valeur qu’elles créent dans chaque pays de l’union.

Enjeux de souveraineté et de protection du patrimoine informationnel

Dès lors que les données de citoyens, d’entreprises ou d’administrations européennes transitent dans les centres de données d’une entreprise non européenne, elles sont soumises à des juridictions extra-européennes, qui permettent à des agences de renseignement étrangères de les collecter et de les traiter massivement. Il peut s’agir de données à caractère personnel dont le traitement est soumis à la réglementation RGPD[6] ou de données stratégiques voire vitales qui se retrouvent ainsi exposées à un traitement non régulé et potentiellement malveillant. Il n’y a pas de protection ou de confiance possible si les plateformes sur lesquelles transitent ces données ne respectent pas la régulation européenne. En outre, dans un contexte de cyberguerre ouverte, la captation, l’hébergement, la protection, l’exploitation et surtout, la valorisation des données sensibles ne sauraient être confiés à des concurrents économiques ou géopolitiques. La France ne peut pas compter sur des acteurs non-souverains pour garantir la continuité de ses activités, notamment celles de ses services publics, de ses opérateurs d’importance vitale ou de ses fleurons industriels.

Les garanties juridiques apportées par le nouvel arsenal législatif européen Digital Markets Act[7] et Digital Services Act[8], bien que constituant des protections nécessaires, peuvent s’avérer inopérantes face au risque permanent de revirements de jurisprudences, ou de nouveaux décrets pris au gré des changements d’administration.

Malgré son retard, l’Europe doit donc se donner les moyens de construire et d’opérer ses propres plateformes et places de marché logicielles, capables de rivaliser sur le plan des fonctionnalités, des performances, de la sécurité et de la qualité de service avec celles des géants du numérique. Cela prendra nécessairement du temps et cela demandera des moyens conséquents mais les intérêts vitaux des nations européennes sont en jeu.

Enjeux d’inclusion et de responsabilité sociale

Le numérique est devenu indispensable pour les actions du quotidien : communiquer, accéder à l’emploi, à l’éducation, aux services et à la mobilité. Il est aussi un formidable levier pour l’insertion et peut agir en catalyseur de mixité, de diversité et d’innovation sociale. Pour autant, 14 millions de français sont actuellement touchés par l’illectronisme[9] et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes sont également concernés par ce phénomène. L’illectronisme est un vecteur de fracture sociale entre les individus connectés et les autres et il constitue un facteur de non-recours aux droits sociaux pour les populations vulnérables. La réduction drastique de l’illectronisme sur les territoires doit donc être un objectif politique prioritaire pour la gauche sociale-démocrate.

Sur le plan environnemental, le numérique représente aujourd’hui environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et 2,5 % de l’empreinte carbone nationale et cette part augmente chaque année de manière significative comparativement aux autres secteurs. La production des composants numériques représente à elle-seule 75% de l’empreinte environnementale qui va au-delà des émissions de gaz à effet de serre, et intègre les consommations de ressources non renouvelables, les impacts sur la biodiversité, sur l’eau et la consommation d’énergie. Si rien n’est fait pour décarboner le secteur, pour inviter à la sobriété de consommation, pour ralentir les flux de déchets et augmenter la part du recyclage, l’impact environnemental de la société numérique va s’avérer désastreux pour les générations futures. Pour la gauche sociale-démocrate, les défis sont multiples : il s’agit d’élaborer les méthodes et de fournir les moyens d’objectiver par la mesure l’impact réel du numérique afin de mieux cibler les leviers d’actions, il s’agit de soutenir l’émergence d’un numérique plus sobre par l’éco-conception, l’allongement de la durée de vie des équipements et l’incitation à la sobriété d’usage, et enfin, il s’agit de faire du numérique un outil vertueux pour l’environnement en soutenant particulièrement les innovations numériques au service de la transition écologique.

Enjeux d’éthique et de démocratie

Le numérique peut contribuer à revitaliser la vie démocratique comme il peut constituer une arme puissante de manipulation d’opinions. Les réseaux sociaux dopés par les algorithmes incarnent particulièrement cette ambivalence : ils permettent à chacun de contribuer aux débats et aux décisions de la vie publique mais ils peuvent donner lieu à la diffusion massive d’informations et d’opinions émanant de groupes idéologiquement minoritaires et potentiellement malveillants. Les thèses complotistes, les fausses informations, les discours haineux diffusés sur les réseaux sociaux ont démontré ces dernières années leur capacité de nuisance sur les processus démocratiques et sur la confiance des citoyens dans les institutions qui les représentent. En outre, l’asservissement progressif des individus aux outils d’Intelligence Artificielle pour leurs activités de recherche et de diffusion d’information et pour la prise de décision interroge sur la capacité de ces derniers à disposer pleinement de leur libre arbitre et à agir avec éthique. Dans un contexte où de nombreux citoyens aspirent à une participation plus intense et directe à la vie démocratique, la gauche sociale-démocrate doit créer les conditions d’une société numérique au service de la démocratie, soucieuse de valoriser les formes diversifiées de citoyennetés et capable de protéger les libertés fondamentales.

Les atouts de la France et de l’Europe

Plusieurs indicateurs confirment la montée en puissance du secteur numérique en France. En 2022, le numérique représente 6% du produit intérieur brut avec plus de 150 milliards d’euros de dépenses annuelles, il emploie près d’un million de salariés et son marché affiche un fort taux de croissance, laquelle est stimulée par la transformation numérique des organisations. Plus de 25 jeunes pousses françaises (Doctolib, BlaBlaCar, ManoMano, Quonto, etc.) ont atteint le statut de licornes valorisées à plus d’un milliard de dollars chacune. La France se positionne en leader européen dans les domaines du Big Data et de la Cybersécurité grâce en particulier à la qualité de la formation de ses ingénieurs. Enfin, la France joue un rôle déterminant sur le terrain juridique européen par les actions qu’elle mène pour la régulation du marché et des services numériques.

La France possède donc des filières d’excellence en ingénierie et services, des entreprises numériques à fort potentiel mais la taille de son marché intérieur et ses capacités d’investissement intrinsèques ne lui permettent pas de jouer dans la cour des géants américains ou chinois. La France ne peut se constituer en puissance numérique qu’à travers l’Europe.

L’Europe possède la taille et les atouts pour peser dans la compétition mondiale. Elle dispose d’un marché conséquent de consommateurs qualifiés qui tend à s’intégrer dans le cadre du marché unique. Certaines de ses entreprises se distinguent sur le marché des plateformes moyennes où la proximité du client est un atout (Deliveroo, Just-Eat, Trivago, BlaBlaCar, Deezer, etc.). Elle réalise des performances remarquables dans les domaines de la production de composants numériques et les services numériques (SSII). Elle soutient massivement son industrie électronique et la filière des semi-conducteurs (Chip Act, plan français Électronique 2030). Elle montre la voie sur le plan juridique avec les réglementations RGPD, Digital Markets Act, Digital Services Act qui inspirent les puissances internationales par leur impact positif sur les marchés et la prise en compte des enjeux sociétaux. Enfin, elle figure au second rang, derrière la Chine, des producteurs de données industrielles (B2B) qui vont constituer l’essentiel du gisement de données à venir.

Quelle politique sociale-démocrate en matière de numérique ?

Bâtir les institutions et les services publics à la hauteur des enjeux

Il convient de fournir à la France les moyens institutionnels d’une politique forte en matière de numérique et de bâtir des services publics adaptés aux enjeux du numérique sur les territoires.

Sur le plan national, un ministère français du Numérique de plein exercice et doté de tous les moyens et expertises nécessaires permettra de conduire la France et l’Union Européenne vers des ambitions à la hauteur des enjeux. Il aura pour feuille de route les objectifs suivants :

  • Œuvrer avec les pays européens pour une meilleure structuration du marché, pour une juste fiscalité et pour un cadre juridique protecteur et efficace,
  • Motiver à l’échelle de l’Europe la construction de plateformes souveraines susceptibles de fournir les services d’infrastructure, de sécurité et les places de marché logicielles nécessaires à la transformation numérique des entreprises et des administrations de toute taille sur tout le continent,
  • Construire une force européenne de cyber-résilience,
  • Stimuler la compétitivité des entreprises françaises sur le marché des services numériques,
  • Bâtir une société numérique responsable, inclusive, au service de la démocratie.

Au niveau des territoires, les collectivités territoriales, appuyées par l’État et en collaboration avec les acteurs locaux du numérique, les écoles et les universités, donneront un nouvel élan aux agences numériques des territoires[10] et les transformeront en véritables pôles et campus numériques citoyens dont les principales missions seront de :

  • Soutenir l’ensemble des services publics, les associations et les TPE/PME dans leur transformation numérique par l’apport de compétences et la fourniture de solutions technologiques et financières pour leurs projets,
  • Lutter contre l’illectronisme et soutenir les citoyens dans leurs démarches dématérialisées,
  • Former aux technologies et aux usages du numérique et développer les compétences clés sur les territoires,
  • Fournir des solutions d’espace de travail partagé pour le télétravail ou pour le développement des jeunes pousses,
  • Construire et mettre à disposition des collectivités les solutions numériques utiles à la vie citoyenne et démocratique.

Ces dispositifs territoriaux, correctement dimensionnés et maillés pour agir au plus près des besoins, placeront l’humain et la responsabilité environnementale au centre de leurs préoccupations.

Structurer le marché pour une juste compétition et une souveraineté recouvrée

Seul un cadre de compétition juste permettra de favoriser l’innovation et la compétitivité des entreprises et d’assurer le développement d’une économie européenne de la donnée. Seule une souveraineté recouvrée, permettra à l’Europe d’acquérir une véritable autonomie stratégique.

Pour atteindre ces objectifs, la France devra mener, en collaboration avec ses partenaires européens, une politique ambitieuse de structuration du marché en utilisant trois leviers principaux : la régulation, la standardisation et la fiscalité. Elle s’attachera particulièrement à :

  • Mettre en application les réglementations Digital Markets Act et Digital Services Act en définissant les moyens de contrôle et en veillant à l’application systématique des sanctions,
  • Concrétiser le projet de réglementation sur l’Intelligence Artificielle, l’IA Act, pour rendre la technologie d’Intelligence Artificielle digne de confiance, centrée sur l’humain, éthique, durable et inclusive,
  • Élaborer et mettre en application une réglementation sur la commande publique, un Buy European Tech Act, qui consistera à encourager les acheteurs publics à privilégier la technologie européenne dès lors qu’un fournisseur européen proposera une offre équivalente en termes de prix, de qualité et de performance à celle d’un fournisseur non européen,
  • Définir les standards de souveraineté, de sécurité et d’interopérabilité des plateformes de Cloud Computing et des places de marchés de services logiciels pour limiter fortement les dépendances et garantir la résilience,
  • Veiller à la bonne application des directives visant à l’harmonisation des normes de cybersécurité dans les états membres et définir des standards de déploiement des solutions cyber,
  • Définir et délivrer les certifications de qualité, de sécurité, de souveraineté et d’éthique aux produits numériques commercialisés sur le marché européen,
  • Définir les normes et moyens de mesure de l’impact environnemental du numérique, et créer un label européen d’éco-responsabilité numérique applicable aux plateformes et aux composants numériques,
  • Proposer une réforme fiscale ambitieuse qui visera à collecter l’impôt là où le service numérique est effectivement rendu, et donc dans le pays dans lequel réside fiscalement l’utilisateur par les biais de moyens de taxation innovants (taxation à l’acte de paiement par exemple),
  • Lutter contre les mesures protectionnistes en allégeant par exemple les coûts de sortie des données des plateformes,
    Influer sur le droit US et son extraterritorialité en travaillant sur un concept de « réciprocité ».

Relocaliser les filières stratégiques et investir massivement dans les plateformes et la cyber-résilience

La politique de résilience européenne en matière de numérique ne doit pas seulement reposer sur la régulation et la standardisation, elle doit également opérer le renversement des rapports de dépendances dans les plateformes et les services en mutualisant les moyens d’exploitation des données et en relocalisant les filières stratégiques. Cette politique industrielle ambitieuse consistera à :

  • Œuvrer pour une concentration et pour la collaboration industrielle des acteurs phares européens des centres de données, des plateformes, des services de sécurité et des places de marché logicielles pour permettre la création de géants européens du Cloud Computing susceptibles de fournir les services de traitement et de protection de données adaptés aux entreprises et administration de toute taille quelle que soit leur géographie,
  • Utiliser les leviers des technologies de stockage décentralisé et de blockchain pour accélérer le développement de plateformes de nouvelle génération,
  • Mutualiser les moyens financiers et activer les dispositifs européens nécessaires pour subventionner la construction de plateformes et de services logiciels interopérables et éco-responsables,
  • Faire émerger une industrie européenne de la cybersécurité et créer des dispositifs européens défensifs contre la menace cyber dans une alliance stratégique avec les partenaires de l’OTAN,
  • Mener une politique d’incitation forte à l’investissement privé et à la mobilisation directe et indirecte de fonds publics pour financer la Recherche et Développement dans les domaines de l’Intelligence Artificielle, du numérique responsable, du calcul quantique, des technologies de fabrication de composants et des technologies immersives,
  • Anticiper les défaillances potentielles des chaînes d’approvisionnement de composants essentiels et œuvrer par le biais de politiques fiscales et d’aide à l’embauche incitatives à la relocalisation au sein de l’espace européen de certaines filières stratégiques,
  • Veiller au filtrage des investissements vers les entreprises innovantes et les alimenter en fonds propres européens afin qu’elles ne soient pas systématiquement rachetées par des acteurs non-européens,
  • Diversifier les moyens de financement en développant le financement par les fonds de capital-risque,
  • Motiver la commande publique vers les entreprises numériques européennes et mener une politique volontaire de rétention des talents.

Vivre dans une société numérique responsable au service de la démocratie

La société numérique que nous appelons de nos vœux est respectueuse de la planète, des individus, des valeurs démocratiques et des libertés individuelles.

La France fera de la lutte contre l’illectronisme un combat politique prioritaire afin de soutenir un impact social du numérique bénéfique et durable.  Elle permettra à chacune et chacun de s’acculturer aux usages numériques, d’être en pleine capacité de poursuivre son apprentissage ou son activité. En capitalisant sur ses filières d’excellence en mathématiques et en informatique, sur ses dispositifs de formation continue et sur les campus numériques citoyens, elle développera une politique ambitieuse de formation des citoyens aux technologies et aux usages numériques. Au collège, l’apprentissage du numérique, présent au sein de la filière technologique, sera renforcé afin que chaque collégien puisse être en mesure de maîtriser les outils fondamentaux, de comprendre les enjeux et de se protéger des menaces.

La France soutiendra les initiatives numériques visant à dynamiser les processus démocratiques dans les territoires. Elle fera en sorte de mettre à disposition des collectivités territoriales des solutions pratiques de type Civic Tech[11] qui auront vocation à replacer le citoyen au cœur du débat public et à lui donner envie d’agir dans la sphère démocratique locale par le biais des outils numériques. L’action publique, orchestrée par une administration qui connaît mieux les besoins de ses usagers, sera de fait plus personnalisée, plus prédictive et plus participative. Ces solutions pourront être étendues à la sphère démocratique nationale dans le cadre de décisions compatibles avec un arbitrage global ou dans le cadre de processus d’idéation autour de l’action publique.

La France encouragera les administrations et les entreprises à viser la neutralité carbone dans un horizon de temps contenu et à adopter les normes et bonnes pratiques pour une consommation raisonnée des ressources numériques nécessaires à leur bon fonctionnement. Elle fournira pour cela des solutions pratiques de mesure et de pilotage de l’impact environnemental.

Enfin, la France protègera ses enfants des dangers du numérique et s’attachera, sans compromis, à protéger les libertés individuelles de ses citoyens en faisant en sorte que le droit qui s’applique à l’espace public soit pleinement transposé à l’espace dématérialisé.

Louis Cougouille

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[1] GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft

[2] NATU : Netflix, AirBnB, Tesla et Uber

[3] BATX : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi

[4] Taxe GAFA : projet de loi de contribution sur les entreprises numériques adopté par le Parlement français le 11 juillet 2019

[5] Projet OCDE : accord trouvé le 1er juillet 2021 par 136 pays de l’OCDE de taxation des multinationale avec un taux minimum d’au moins 15 %.

[6] RGPD: Règlement Général sur la Protection des Données adopté par le Parlement européen le 27 avril 2016

[7] Digital Markets Act : règlement sur les marchés numériques adopté par le Parlement européen le 1er novembre 2022

[8] Digital Services Act : règlement sur les services numériques adopté par le Parlement européen le 5 juillet 2022

[9] Illectronisme : l’illettrisme numérique, ou encore l’illettrisme électronique, est la difficulté, voire l’incapacité, que rencontre une personne à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques en raison d’un manque ou d’une absence totale de connaissances à propos de leur fonctionnement.

[10] ANCT : Agence Nationale de la Cohésion des Territoires. La Direction Générale Déléguée Numérique de l’ANCT a pour mission de résorber les fractures numériques et de tirer parti des opportunités offertes par le numérique pour construire de nouveaux modèles de développement des territoires.

[11] Civic Tech : la technologie civique représente l’ensemble des procédés, outils et technologies qui permettent d’améliorer le fonctionnement démocratique des sociétés et des communautés, en renforçant le rôle joué par les c

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