Pour une politique énergétique sociale, écologique et européenne

28/10/2023 | Questions énergétiques production et transition

Groupe de Travail du Lab de la Social-Démocratie

Rapporteur : Matthieu Terenti

Rapporteur : Matthieu Terenti

Ingénieur

Ingénieur de formation, Matthieu a débuté sa carrière dans le secteur des grands projets d’infrastructure électriques dans le domaine de l’énergie, du transport et des télécommunications au sein de Cegelec pendant 3 ans. Il a rejoint EDF en 2005 où il a occupé différents postes à la fois de management opérationnel et à portée  stratégique et institutionnelle. Il est aujourd’hui en charge de l’industrialisation de l’infrastructure de recharge des véhicules électriques en France.

Autres rédacteurs et contributeurs : Dominique GRAND, Marc FONTECAVE, Quentin MOLINER, Pierre PAPON, Jacques ROGER-MARCHART

Relecteurs : Olivier APPERT, Benoît COGNE, Jean-Pierre FAVENEC, Guillaume GAULIER, Didier HOLLEAUX, Bernard TARDIEU

Sous la présence de Michel DESTOT

L'essentiel

La politique énergétique de la France non seulement doit se décarboner en diminuant drastiquement son recours aux énergies fossiles mais elle doit également en prospective répondre à une demande fortement croissante en électricité non carbonée des gros consommateurs (producteurs de biens industriels ou de services) comme des millions de petits consommateurs domestiques. Car les efforts de décarbonation conduiront

  • à électrifier les processus industriels fortement émetteurs de CO2, notamment en utilisant de l’hydrogène produit par électrolyse,
  • à une logistique de transport de marchandises par camions à motorisation électrique sur batteries et/ou piles à combustible hydrogène,
  • à une mobilité des personnes par transports publics électrifiés et voitures électriques,
  • au chauffage du bâti thermiquement isolé isolé par des pompes à chaleur électriques.

L’État stratège doit élaborer une politique industrielle sur les filières clés (batteries, « smart grids », productions pilotables, filière électronucléaire, …) ainsi que de formations à tous les niveaux, du BAC professionnel aux licences, masters et doctorats, afin d’accompagner le verdissement de l’économie. Cet État stratège et planificateur doit également promouvoir la décentralisation dans un juste équilibre entre l’Etat et les Territoires. Les collectivités territoriales – essentiellement les régions et groupements de communes (EPCI) – sont des partenaires essentiels des opérateurs nationaux. C’est pourquoi nous préconisons la mise en place de Services régionaux de la transition énergétique, associant territoires urbains et ruraux, en complément des actions proposées autour de l’État stratège.

Les 27 ans qui nous séparent de 2050 seront certainement trop courts pour atteindre à cette échéance la pleine neutralité carbone mais toutes les formes d’énergies primaires non carbonées – hydraulique, géothermique,  éolien, photovoltaïque, nucléaire –  doivent être mobilisées pour répondre à la demande selon un mix fonction des délais de réalisation et des coûts complets, non seulement de construction et d’exploitation mais aussi d’investissements sur les réseaux pour les connecter au réseau de RTE, la déconstruction en fin de vie.

Même si certains affichent le 100 % renouvelable comme un scénario possible, nous recommandons de plutôt miser sur un mix électrique diversifié s’appuyant sur le nucléaire, l’hydraulique, le PV et l’éolien, la géothermie pour sécuriser l’approvisionnement et conserver des coûts absorbables accessibles à tous. Aussi, outre une accélération de ces projets d’ENR, nous appelons à étendre la durée de vie du parc électronucléaire existant en garantissant aux organes de sûreté une pleine autonomie et une capacité d’expertise dans l’examen de la faisabilité et de l’opportunité de prolonger la durée de vie des centrales ce qui s’avère le meilleur moyen de contenir des prix bas. Notre souveraineté énergétique passera aussi nécessairement par la relance d’un programme ambitieux de construction de réacteurs de 3ème génération de type EPR, le développement de petits réacteurs SMR (small modular reactors,) comme le projet national Nuward et la relance des travaux sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR) pour fermer le cycle du combustible.

La dimension européenne de la transition énergétique est évidemment essentielle Les objectifs ambitieux du paquet « Fit For 55 » prolongent le système d’échanges de quotas (SEQE) où l’annulation des quotas gratuits doit conduire à une augmentation souhaitable du coût des émissions de CO2. Par ailleurs, il n’y aura pas de souveraineté nationale totale pour l’accès aux ressources minérales nécessaires aux  différentes sources d’énergie (nucléaire, renouvelables, fossiles) ; nous devons non seulement approfondir les mécanismes de solidarité énergétique qui existent déjà entre Etats européens mais encore travailler à une nouvelle ambition de politiques industrielles européennes.

Les dispositions actuelles existantes dans le cadre des contrats long terme pour les productions renouvelables doivent être ouvertes aux productions électronucléaires par l’intermédiaire de « PPA (power purchase agreements) ou de « CfD  (Contract for Difference ). Il convient en outre de faire émerger sur le marché européen une référence unique du carbone afin de favoriser l’émergence d’un marché compétitif et liquide au sein de l’UE. La taxation du carbone doit préférentiellement être portée par l’émetteur  et non uniquement par le consommateur. C’est aux producteurs d’électricité, aux constructeurs de voitures, d’avions, etc. de supporter au maximum cette fiscalité efficace et vectrice d’une plus grande justice sociale.

Le projet de taxe carbone aux frontières ne doit pas être simplement protectionniste : d’une part, son produit sur les biens taxés originaires des pays émergents devrait être reversé à ceux-ci, d’autre part, il s’agit d’inciter les régions industrialisées exportatrices vers l’UE d’adopter une taxation du carbone par un dispositif équivalent au SEQE de l’UE.

Groupe de Travail du Lab de la Social-Démocratie

Pour une politique énergétique sociale, écologique et européenne

Temps de lecture : 28 minutes

L’élaboration d’une politique énergétique est pour un État ou une communauté d’États un processus aussi impérieux que complexe à mettre en oeuvre. S’y soustraire, c’est s’exposer aux caprices et aux ruses de l’histoire, comme aux soubresauts de la géopolitique. La situation actuelle nous le démontre un peu plus chaque jour. En France comme ailleurs, la mise en place d’une telle politique énergétique suppose une connaissance fine des ressources matérielles, techniques et intellectuelles dont dispose le pays, et un courage politique certain pour opérer des choix dans le champ des possibles énergétiques. Ce temps du diagnostic et de la prospective est donc des plus précieux et il aurait beaucoup à nous offrir.

En effet, la France souffre de l’absence d’une politique énergétique. Les gouvernements successifs, y compris l’actuel, ont négligé cette question et donc failli dans l’élaboration d’une politique ambitieuse régissant la consommation et la production d’énergie en France. À l’heure où le changement climatique nous contraint à réformer entièrement nos sources et nos modes de production et de consommation énergétiques, il est urgent de mettre en place cette politique sociale, économique, écologique et européenne que nombre de nos concitoyens appellent de leurs vœux.

Il convient donc de tracer les linéaments concrets de cette politique, tout en ménageant un espace d’action spécifique, une certaine latitude dans l’adaptation de nos modèles prédictifs et de planification pour être en mesure d’accueillir les innovations technologiques incrémentales ou de rupture qui nécessiteront peut-être en temps voulu d’amender, voire de bouleverser cette feuille de route programmatique. Ce n’est qu’au prix du respect de cette double exigence – théorique et pratique donc – que la France pourra sortir de l’ornière énergétique dans laquelle elle s’est enlisée depuis une vingtaine d’années.

Il est capital de faire de ce chantier une question de priorité absolue, tant l’énergie constitue un enjeu d’importance pour permettre un développement social, écologique et économique harmonieux de notre pays. Par ailleurs, la crise politique dont le conflit ukrainien est principalement à l’origine, ainsi que la rivalité sino-américaine redonnent une dimension géopolitique importante à la politique énergétique ; elles rendent nécessaire et urgente une coopération européenne afin de mettre en oeuvre une stratégie qui tienne compte de cette nouvelle donne. Une telle politique doit ainsi respecter les trois principes suivants :

Elle met en œuvre, à tout moment, les moyens techniques appropriés pour fournir, en quantité suffisante, à tous les citoyens l’énergie nécessaire, pour leur habitation, leur transport, leurs loisirs et leur activité professionnelle.
En conséquence, elle a l’obligation d’assurer une sécurité d’approvisionnement de cette énergie, en limitant les dépendances vis-à-vis de fournisseurs d’énergie extérieurs. Ceci suppose d’asseoir cette politique sur une souveraineté énergétique qui donne au Parlement le pouvoir de définir cette politique énergétique, aussi librement que possible.
Elle doit, avec la même importance, assurer une fourniture d’énergie à un prix minimal qui permet à tous de limiter la facture énergétique et contribue à la compétitivité des entreprises. Ceci suppose que les moyens techniques de production d’énergie, soient choisis et calibrés également en fonction de leur coût complet.

Par ailleurs, le contexte inédit dans l’histoire humaine du changement climatique, d’une part, et notre dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz, ressources en totalité importées et finies, imposent que cette politique soit tout entière dirigée vers la transition énergétique et mette en place tous les moyens pour remplacer ces énergies fossiles, sources de gaz à effet de serre, par des sources d’énergie renouvelables et bas-carbone. Il convient de ne jamais s’affranchir cependant de l’exigence de dire les réalités suivantes, afin de les affronter avec la plus grande transparence et la plus grande efficacité. Et en premier lieu que cette transition énergétique est un des projets les plus difficiles que notre pays, mais c’est vrai pour tous, ait à affronter. Il faut dire qu’elle va s’inscrire dans un temps long, pour la simple raison que personne, dans aucun pays de la planète, n’a la capacité, notamment technologique et économique, de réaliser cette transition en quelques années. L’inertie du système énergétique, tant sur l’offre que la demande, se situe en effet sur des décennies voire des siècles (bâtiment par exemple).

La transition demande encore des efforts majeurs de formation, de recherche et d’innovation, dans les laboratoires et les entreprises, de politique industrielle, pour mettre en place des technologies pertinentes et pour exploiter les nouvelles sources d’énergie bas-carbone à notre disposition, énergies renouvelables et biomasse, à une échelle que nous sommes encore très loin d’avoir atteint, à côté de l’énergie nucléaire indispensable.
Ensuite dire que cette transition sera extrêmement coûteuse et qu’une politique énergétique digne de ce nom devra être en capacité de planifier les investissements nécessaires et le rythme de la transition avec le souci prioritaire que cette dernière soit d’abord juste socialement et soutenable économiquement, et pas seulement sous le seul contrôle du niveau des émissions, même si ce critère est évidemment déterminant. C’est pour cette raison que notre projet s’inscrit sans ambiguïté dans une perspective de croissance, de production, de travail, d’industrie sans lesquels la transition sera synonyme de misère sociale et de déclassement économique irréversibles.

Les politiques d’adaptation au changement climatique doivent à ce titre anticiper les impacts inéluctables, et préparer les populations à de grands chamboulements dans les modes de vie. Il va être par exemple nécessaire de mettre en place des infrastructures et des organisations adaptées dès aujourd’hui pour résister à des températures plus élevées, à des risques d’inondations, comme ce fut le cas en 2020 dans la vallée de la Roya, ou d’incendies, tels que ceux que les Landes ont connu à l’été 2022 par exemple. Il faut en conséquence dépenser maintenant, pour réduire les coûts, y compris sanitaires, plus tard.

La transition va mobiliser de nombreuses ressources minérales: métaux, terres rares, etc., dont la production va elle aussi nécessiter des quantités importantes d’énergie. Enjeux énergétiques et ressources minérales sont de facto liés. La criticité des matériaux et des minéraux stratégiques doit s’intégrer dans la politique climatique, de même la sensibilisation de la population à l’épuisement des ressources est tout aussi importante que la sensibilisation à la consommation énergétique.

Enfin dire qu’il n’y a pas de salut hors d’une articulation de cette politique avec celles de nos partenaires européens.

Les objectifs ambitieux du paquet « Fit For 55 » prolongent les travaux mis en place depuis les années 90 – système d’échanges de quotas (SEQE) et politique dite de « partage des efforts » par exemple -, mais ces objectifs ne sauraient combler les désaccords existants entre Etats-Membres, freinant l’émergence d’un consensus qui pourrait pourtant préserver les intérêts nationaux. Par ailleurs, il n’y aura pas de souveraineté nationale totale en ce qui concerne l’accès aux diverses sources d’énergie (fossiles, renouvelables, etc.), aux ressources minérales, aux ressources alimentaires, et nous devons non seulement approfondir les mécanismes de solidarité énergétique qui existent déjà entre Etats européens mais encore travailler à une nouvelle ambition pour une politique européenne de l’énergie au service de tous. Ce chantier n’est pas moins difficile que les autres, tant les désaccords entre certains pays européens sont profonds en matière d’énergie, mais il est essentiel.

Il faut être, comme la gauche le fut dans un passé hélas maintenant lointain, porteur d’un message fort sur la nécessité du progrès scientifique et technique pour favoriser et asseoir tout progrès social, économique et écologique.

La neutralité carbone en 2050, un idéal régulateur, mais un objectif difficile à atteindre. Comment concilier réalisme scientifique et ambition climatique dans l’élaboration de la politique énergétique française ?

Le changement climatique appelle une évolution rapide de notre système productif et énergétique pour réduire au maximum le recours aux énergies fossiles et les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent. Ce changement de paradigme requiert dès à présent la mise en place d’une politique volontariste d’adaptation et d’atténuation, dans tous les domaines et à tous les échelons de la production et de la consommation. La France est aujourd’hui exemplaire, elle représente 2% de la consommation mondiale d’énergie [de quoi ?], et 1% des émissions, et elle doit servir d’exemple en développant des politiques toujours plus ambitieuses s’agissant tant de nos émissions territoriales que de notre emprunte carbone résultant de nos importations.
S’il doit demeurer un principe recteur dans la conduite des politiques climatiques nationales, européennes et internationales, en l’état actuel de nos connaissances, techniques et modes de vie, l’objectif de neutralité carbone en 2050 apparait particulièrement difficile.
Cet objectif temporel extrêmement ambitieux ne pourra en effet être atteint sans une transformation profonde de nos consommations, de nos modes de production. Taire cette réalité revient à nous exposer collectivement au renforcement des populismes et des extrêmes, qui ne manqueront jamais de se servir de l’échec des effets d’annonce « zéro-carbone 2050 » pour pointer du doigt l’incompétence de ses concepteurs et de ses défenseurs.

Le courage politique impose donc de reconnaître que, si le monde doit impérieusement réduire sa dépendance aux énergies fossiles, nous aurons toujours besoin de carbone en 2050. Les plastiques et les médicaments, carbonés, continueront à être nécessaires, les voitures ne seront pas toutes électriques, et même ces dernières ne seront pas zéro carbone (exemple du graphite des électrodes) ; certaines mobilités ne seront pas totalement électrifiées (transport maritime et aérien) ; la biomasse ne remplacera qu’en partie les fossiles ; et les procédés industriels les plus émetteurs de CO2 (acier, ciment, notamment) ne seront pas devenus totalement bas-carbone, malgré les efforts d’innovation en la matière. On peut espérer que les technologies de capture de CO2 qui commencent à être mises en oeuvre aujourd’hui auront gagné en maturité et en efficacité, mais la construction à grande échelle de parcs éoliens et solaires utilisera encore des quantités massives de béton et d’acier dont la production sera donc, pour un certain temps, émettrice de CO2.

Pour le dire d’un mot, le laps de temps de 27 ans qui nous sépare de 2050 semble trop court pour atteindre la neutralité carbone, fût-elle évidemment souhaitable.

Ce faisant, il importe de préparer le pays et le monde aux effets du changement climatique. En France, les dernières projections réalistes des scientifiques du climat visent une augmentation moyenne des températures bien supérieure à la température préindustrielle d’ici à 2100. Il faut donc dès à présent renforcer les politiques d’adaptation au changement climatique et investir les centaines de milliards d’euros nécessaires à leur pleine effectivité. L’adaptation est un enjeu clé sur la route de la décarbonation que la France, pays développé, doit assumer de défendre dans toutes les instances de dialogue et de négociation internationaux en se déclarant prête à soutenir les pays en développement qui subissent les conséquences d’émissions dont ils ne sont pas responsables.

Une croissance raisonnée

Pour s’adapter au changement climatique, la politique énergétique doit intégrer pleinement les dimensions économiques et sociales du développement durable en complément de la dimension environnementale. À ce titre, il faut lutter contre les appels à la décroissance et l’austérité, contre les critiques parfois démagogiques de l’industrie et de la technique, car c’est à travers l’innovation, et l’évolution des technologies, que passeront aussi une partie des solutions.. Ce qui n’est évidemment pas contradictoire, avec la nécessité pressante de rechercher l’efficacité énergétique et d’adopter des comportements vertueux, de consommer différemment et d’abandonner des pratiques énergivores d’un autre temps, qu’elles soient simplement inutiles ou, pire, délétères pour l’environnement et carbo-intensives (moins de transport, de marketing visuel, moins de gaspillage, etc.). Une partie de la solution de la décarbonation passe donc par une conscientisation générale des changements individuels et collectifs à adopter pour réussir le défi du siècle.
Tout aussi important est l’enjeu d’investir massivement et durablement dans la recherche, le développement de nouvelles connaissances et techniques, l’émergence de nouvelles filières industrielles, et de favoriser un accroissement substantiel de la productivité (ce qui revient à faire mieux avec moins).

C’est pourquoi plutôt que d’appeler à la décroissance autoritaire, autre nom de la pauvreté pour bon nombre de nos concitoyens, nous prônons une croissance nouvelle et raisonnée. Nous nous engageons, nous, femmes et hommes de gauche soutenant une conception sociale, démocrate et écologiste de la société, pour une croissance guidée par des principes régulateurs (efficacité énergétique, sobriété choisie, soutenabilité sociale, solidarité internationale et efficience économique) et susceptible de financer une transition que l’on sait d’ores et déjà être extrêmement coûteuse en temps, en travail et en capitaux.

L’État stratège, le plan et la décentralisation

La situation actuelle héritée du marché commun ne peut pas perdurer. La crise actuelle de l’énergie invite à chercher un meilleur équilibre entre « plan et marché » dans les politiques des États-Membres. En effet, le marché ne permet pas de résoudre les enjeux légitimes de sécurité d’approvisionnement, de prix galopants et de décarbonation. Les réformes de libéralisation du secteur montrent leur limite, il est donc urgent de réinstaurer la planification publique et encapaciter l’ État avec des outils de prospective stratégique, qu’il a eu beaucoup trop tendance, ces quarante dernières années, à déléguer au secteur privé.

Dans le domaine de l’énergie, le plan s’impose comme un outil stratégique en faveur du triptyque Social – Environnement – Économie.

Rappelons que l’unité de temps dans l’énergie est de l’ordre du demi-siècle ou du siècle (productions d’électricité, bâtiments, etc.) et l’unité de compte, le milliard d’euros. Par simple pragmatisme, on ne peut pas continuer à naviguer à vue sur ces sujets en recourant essentiellement à des lois de programmation quinquennale de l’énergie.

L’élaboration d’une politique énergétique conçue dans le temps long doit mobiliser les acteurs reconnus et les structures existantes en leur donnant une pleine et légitime autorité, tout en veillant à ce que les orientations techniques et politiques retenues soient ratifiées par le Parlement, ce qui est la condition sine qua non de leur représentativité démocratique et de leur acceptation sociale. Le choix doit pouvoir s’organiser sur la base de plusieurs scénarii aidant à la décision. La SNBC par exemple doit fournir des scénarii variés ! Pour cela le secrétariat général à la Transition Écologique peut être une structure adaptée de coordination interministérielle, la mise en oeuvre du plan piloté par Matignon, à condition de l’affranchir d’une animation purement technocratique : Matignon doit programmer les investissements et les intégrer dans un cadre global où s’articule harmonieusement l’économie, le social et l’écologie. Et soumettre ces directions à l’appréciation et au vote du Parlement est une nécessité démocratique facteur de cohésion nationale sur la stratégie proposée.

En pratique, un tel État stratège doit favoriser l’émergence de filières clés (batteries, smart grids, productions pilotables…) et se doter d’une feuille route programmatique pour soutenir sa politique industrielle, mais également de formations à tous les niveaux, du BAC professionnel aux licences, masters et doctorats, afin d’accompagner le verdissement de l’économie et la transition du diptyque école-travail vers une formation tout au long de la vie. Le succès de la politique énergétique passée venait d’ailleurs de sa coexistence avec une politique industrielle, c’est pourquoi nous appelons à amplifier l’émergence de filières dès aujourd’hui.
En outre, cet État stratège et planificateur doit promouvoir la décentralisation dans un juste équilibre entre l’Etat et les Territoires. Le XXIème siècle est et sera celui de l’encapacitation des territoires et des citoyens. Il incombe de redonner sa juste place à l’agilité propre aux échelles locales et territoriales. C’est particulièrement vrai dans la transition écologique qui, de la rénovation du bâti, à l’intégration des ENR en passant par les politiques de mobilité, exige une connaissance fine et une proximité, pour ainsi dire, charnelle avec les territoires où ces actions sont mises en place. Les acteurs économiques, associatifs, les collectivités locales et plus généralement les citoyens, tous doivent être pleinement associés à la transition. Entre ces deux échelles, nationale et locale, les Régions et les EPCI doivent pouvoir renforcer leurs compétences et en développer de nouvelles en matière de transition écologique, que SRADDET, SCoT et autres PLU peinent encore à intégrer complètement.

Lorsque des projets de construction d’infrastructures énergétiques auront un impact régional important, des débats publics explicitant leurs enjeux et impliquant experts et citoyens, pourront être organisés localement sous l’égide de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP).

Les grandes entreprises de l’énergie, EDF, TotalEnergies, ENGIE ou l’Etat ne sont pas les seuls acteurs ; les collectivités territoriales – essentiellement les régions et groupements de communes (EPCI) – sont des partenaires essentiels des opérateurs nationaux. C’est pourquoi nous préconisons la mise en place de Services régionaux de la transition énergétique, associant territoires urbains et ruraux, en complément des actions proposées autour de l’État stratège.

Les Régions ont pour mission de concevoir la territorialisation des orientations nationales à l’échelle de leur territoire. Elles ont un rôle de chef de file sur le climat et l’énergie, qui consiste à assurer la coordination des collectivités locales sur ces sujets. Elles peuvent aussi par leurs compétences en matière de transport, d’agriculture et de développement économique orienter les projets dans un sens vertueux du point de vue de la transition écologique. Elles peuvent enfin favoriser dans les territoires ruraux des productions décentralisées d’énergies renouvelables, qui seront plutôt consommées dans les territoires urbains, ce qui implique notamment le développement des réseaux de distribution d’Enedis ou de GrDF, dont il faudra sécuriser la capacité à investir sur le long terme – Enedis annonçant par exemple 100Md€ d’investissements nécessaires cumulés de 2022 à 2040 – , car sans réseau pas de transition possible.

Les intercommunalités, quant à elles, ont en charge l’élaboration des Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), qui décrivent la trajectoire climat de leur territoire et les actions prévues par les acteurs locaux pour s’y inscrire. Elles sont également coordinatrices de la transition énergétique après l’adoption de leur PCAET, ce qui les positionne en fédératrices de l’ensemble des acteurs de leur territoire sur ce sujet. Ces collectivités ont enfin un rôle opérationnel dans le développement des actions de transition écologique dans leur champ de compétences ou dans leur sphère d’influence et peuvent s’appuyer sur des dispositifs contractuels avec l’Etat comme les Territoires Zéro Déchet ou encore les Contrats de transition écologique (CTE).
Ayant en outre les compétences d’urbanisme, elles sont mieux placées que l’État pour accompagner les propriétaires immobiliers dans l’isolation thermique du bâti.

Il convient donc de renouer avec l’option historique de la gauche en faveur de la décentralisation et nous plaidons pour que les collectivités locales soient reconnues comme les échelons opérationnels pertinents pour gérer une partie des financements de l’État consacrés à la transition énergétique, conseiller et orienter les particuliers dans leurs choix de transition énergétique : l’État devrait leur transférer ses aides à l’isolation thermique du bâti.
En ce sens, un service public de la rénovation, interlocuteur unique du propriétaire et apportant une garantie de résultat est à envisager.

La décision publique se rapprochant des consommateurs sera mieux à même d’accompagner les initiatives d’autoconsommation collective, d’efficacité et de sobriété énergétique des « consomm’acteurs », les expérimentations de réseaux intelligents, l’isolation thermique des bâtiments, voire leur reconstruction à neuf pour gagner en efficacité thermique[1}.
Nous plaidons donc pour la mise en place de services publics régionaux de la transition énergétique, sur des périmètres inférieurs à celui de la Région mais associant le monde rural et celui des intercommunalités urbaines.

En définitive, une allocation plus judicieuse des ressources et des moyens publics, au bénéfice d’une meilleure efficacité des politiques pour l’ensemble des citoyens, dans une bonne articulation entre Etat et Territoires, sont les clés d’une décentralisation réussie et d’une transition « plus » démocratique.

La stratégie de décarbonation

Les incertitudes restent nombreuses aujourd’hui, mais les actions prioritaires pour décarboner la demande s’organisent autour des trois axes principaux : mobilité, habitat, industrie.

Mobilités

Pour décarboner nos territoires, il convient d’abord d’agir sur la demande d’énergie. À commencer sans doute par les mobilités : aujourd’hui nos modes de transports sont très carbonées : véhicule particulier, poids lourds, bateaux, avions, etc. Il faut encourager les mobilités douces, et éviter les mobilités inutiles, en renforçant partout où il est possible le télétravail. Pour tous les emplois qui le permettent, le travail hybride présence/distance doit devenir la norme plutôt qu’une option ; le présentéisme 5 jours au bureau sur 7 est un legs du passé de plus en plus dur et inconséquent à porter, il devra à l’avenir se justifier expressément par l’activité, ou a minima correspondre à un choix du salarié, mais il ne peut plus être imposé par l’employeur.
Ces transformations sociétales appellent dès à présent un renforcement, une massification des transports publics urbains, dont les RER métropolitains et régionaux, les métros, bus, tramways, et la création de « parkings relais », dotés de bornes de recharge pour les véhicules électriques, en périphérie des centres urbains garantissant un déplacement domicile travail le moins carboné possible de bout en bout.

La transition des véhicules légers thermiques vers des véhicules électriques est en marche, aussi faut-il multiplier rapidement les infrastructures pérennes de recharge en maison et en immeuble à des coûts raisonnables, en mettant en place des tarifs réglementés de vente notamment pour la recharge. Il serait en outre pertinent de permettre aux possesseurs de VE n’ayant pas la possibilité de les recharger à domicile de se brancher dans des parkings publics ou parapublics à des prix particulièrement abordables notamment pour les plus vulnérables, idéalement il faudrait viser « la gratuité » et donc trouver les bons leviers réglementaires pour la mettre en place.

Ce surcroît de consommation électrique devra faire l’objet d’anticipations quant à ses conséquences sur la production électrique nationale et locale, et le développement des réseaux de distribution notamment, en relançant par exemple des travaux de fond sur l’évolution des tarifications de l’électricité et en incitant en particulier à la recharge en heures creuses (le smart charging).
Dans les zones non urbaines, le développement de l’infrastructure de recharge pour véhicules électrique doit constituer un enjeu clé de l’aménagement territorial, c’est pourquoi il faut aller plus loin que les SDRIVE (schéma directeur d’infrastructure de recharge) actuels, en misant sur l’intermodalité, et accompagner, en complément de l’action de la Puissance Publique, l’émergence d’une offre privée de stations-services électriques pour couvrir l’ensemble du territoire tout en régulant les prix pour les utilisateurs de ces recharges.

Concernant les mobilités lourdes et le transport de marchandises, les technologies ne sont pas encore arrivées à maturité, mais il semble pertinent de miser sur l’électrique, l’hydrogène et les biocarburants. Chaque technologie a ses avantage et inconvénients, l’électrique semble favorable pour le « dernier kilomètre » comme pour les déplacements régionaux, il atteint ses limites dans la masse des batteries et la recharge associée pour les longues distances. Pour les très gros véhicules ou pour certains trains régionaux, l’hydrogène peut constituer une solution d’avenir, mais du fait de ses contraintes de sécurité (coûts, sécurité d’acheminement, vandalisme, etc.), il ne saurait être généralisé à tout le transport de marchandises. Les biocarburants constituent quant à eux une des solutions les moins coûteuses et une des plus aisées à mettre en place en l’état actuel de nos connaissances pour décarboner le transport transcontinental, notamment aérien ou maritime, mais les volumes disponibles risquent d’être insuffisants et le bilan carbone des biocarburants n’est pas toujours favorable. Un effort sérieux d’évaluation de ces deux paramètres doit être poursuivi.

Le logement

Pour ambitieux qu’il soit le dispositif gouvernemental MaPrimeRenov’ a démontré les limites de son efficacité. Il doit être enrichi et voir sa gouvernance adaptée aux besoins réels des propriétaires. Il s’agit en ce sens de donner aux collectivités territoriales les moyens d’inciter [les copropriétés et les bailleurs à s’engager dans la nécessaire rénovation du bâti dont ils ont la charge, par des schémas directeurs énergétiques à leur maille (cf gouvernance à plusieurs niveaux).
Le chauffage et la climatisation seront majoritairement issus de l’électricité. Pour s’affranchir des modes de chauffage carbo-intensifs que sont le fioul et le gaz, il faut avoir le courage d’annoncer la fin de l’installation des chaudières recourant à ces sources d’énergie, en priorité pour l’ensemble des nouvelles constructions (on peut d’ailleurs souligner les apports positifs de la RT2020), et faciliter la migration pour les logements existants. La généralisation des pompes à chaleur est un objectif nécessaire pour limiter l’empreinte carbone et le coût de plus en plus prohibitif de la production de chaleur et de froid. Des dispositifs d’incitation, tels que les crédits d’impôt doivent ainsi être instaurés rapidement et pérennisés.

La géothermie, parent pauvre de la production énergétique en France, est pourtant un levier intéressant pour décarboner le chauffage. Certes limités (en dehors de la « géothermie de minime importance » ou « GMI »), les gisements gagneront à être étendus notamment pour alimenter les pompes à chaleur en réserve de calories. De même que les réseaux de chaleur urbains et le solaire thermique, très largement sous-utilisé : il faut l’intensifier dans la rénovation comme dans le neuf.

L’industrie et l’hydrogène

Tout ce qui est électrifiable doit l’être : moteurs, fours, etc. Il reste néanmoins des besoins conséquents en chaleur, « le thermique non électrique » dans l’industrie lourde (métallurgie, sidérurgie, cimenterie…).
Pour ces cas précis, l’utilisation des SMR (petits réacteurs nucléaires modulaires) peut être une option intéressante à creuser, au risque sinon d’être dépendants pendant des années du fossile. Par ailleurs, il y aura durablement besoin de gaz dans l’industrie, il est donc nécessaire d’utiliser au maximum le biogaz, mais les volumes de production actuels restent faibles confirmant l’extrême difficulté de se passer de gaz naturel pendant encore longtemps.

L’hydrogène pourra parfois se substituer au gaz, mais ne saurait constituer l’alpha et l’oméga de la transition énergétique, du fait notamment des coûts – pour l’heure – prohibitifs découlant de sa production, de son impact carbone (aujourd’hui quasi-exclusivement par reformage du méthane, les rendements par électrolyse n’étant pas encore compétitifs), de son acheminement et de son stockage dans des conditions optimales de sûreté.

Il faut en effet dénoncer les solutions magiques qui par enchantement régleraient la difficile question du « thermique non électrique », angle mort de la majorité des scénarii de transition énergétiques disponibles : Les quantités d’hydrogène (H2) « vert » à produire invitent à rester prudents quant aux capacités réelles de production à mobiliser, incommensurablement plus conséquentes que ce que l’homme de la rue peut imaginer dans le couple « EnR/H2 » ou « nucléaire/H2 ».

L’adaptation du système électrique à un nécessaire surcroît de production

Les éléments qui précèdent nous conduisent à prédire une augmentation substantielle de la production électrique pour se substituer autant que faire se peut aux énergies fossiles. Pour assurer cette hausse nécessaire de la production, nous défendons un mix diversifié s’appuyant sur le nucléaire, et les énergies renouvelables : hydraulique, photovoltaïque et éolien.

L’hiver 2022 a mis en évidence des carences dans la production pilotable en France. L’énergie nucléaire disponible en France, apparaît non seulement compétitive, mais une source d’énergie bas-carbone qu’il faut développer sous l’autorité et le contrôle de l’ASN. Le risque de black-out est inacceptable à tout point de vue, social, sociétal, économique (flambée des prix), etc. C’est pourquoi nous souhaitons disposer de productions pilotables décarbonées plus nombreuses et variées dans leur niveau de puissance installée.

Partisans du progrès technologique, nous pensons que notre souveraineté énergétique passera par la relance d’un programme ambitieux de construction de réacteurs de 3ème génération, le développement de petits réacteurs (les small modular reactors, SMR) pour l’industrie, et la relance de travaux sur la 4ème génération de réacteurs (réacteurs à neutrons rapides) pour fermer le cycle du combustible. En parallèle, visons à la fin du siècle la fusion nucléaire.

Pour des raisons sociales et économiques évidentes, nous appelons ainsi à étendre la durée de vie des centrales existantes, dont le coût complet de production est estimé en 2014 entre 42 et 60€/MWh par la Cour des Comptes, soit l’un des plus compétitifs du monde. En garantissant une pleine autonomie aux organes indépendants de sûreté et d’expertise dans l’examen de la faisabilité et de l’opportunité que nous aurons à prolonger la durée de vie des centrales, ces dernières s’avèrent le meilleur moyen de contenir des prix bas et de faciliter la transition vers de nouveaux réacteurs.

Ces prolongements requièrent en contrepartie une vigilance et exigence accrues de la part d’EDF, et de la filière des sous-traitants, ainsi qu’un investissement dans la formation pour renouer avec des savoir-faire perdus au cours du temps en particulier pour des raisons politiques. A ce titre, la situation actuelle de la corrosion sous contrainte est illustrative d’un manque d’anticipation à la fois de l’exploitant, mais également des Pouvoirs Publics, face à des risques de défauts génériques. Elle ne doit pas se renouveler à l’avenir, l’entretien d’une compétence industrielle de premier ordre de la part d’EDF, va de pair avec le nouveau programme à engager.
Pour les énergies renouvelables, le renforcement de la filière européenne existante passe par de nouvelles contraintes réglementaires d’importation (notamment pour les panneaux photovoltaïques chinois). Forte de ses caractéristiques géographiques avantageuses, la France qui bénéficie d’un ensoleillement important au sud pour le PV et de larges zones côtières pour l’intégration de champs d’éoliennes offshore, doit faire face comme tous les pays du monde à l’intermittence de ces productions renouvelables.

Or même si certains affichent le 100 % renouvelable comme un scénario possible, nous préférons rester raisonnables et pragmatiques, et plutôt miser sur un mix électrique diversifié s’appuyant sur le nucléaire, l’hydraulique, le PV et l’éolien pour sécuriser l’approvisionnement et conserver des coûts absorbables pour offrir des prix accessibles à tous.

L’hiver 2022 a en effet mis en évidence l’absolue nécessité de productions conventionnelles dans le mix européen, les ENR ne peuvent couvrir à elles-seules les besoins de l’activité économique. Avec la faible disponibilité du parc nucléaire, les prix se sont d’ailleurs envolés dans des proportions jamais atteintes. Cette expérience doit servir à nos partenaires européens pour retrouver le chemin de la sagesse et accepter de doper l’investissement dans les productions pilotables décarbonées, dont le nucléaire. En parallèle, le développement local de systèmes de transfert d’énergie par pompage, le renforcement de l’interconnexion du réseau électrique européen, les investissements dans les réseaux – notamment de distribution – pour accueillir les ENR et les infrastructures de recharges de véhicules électriques et demain le stockage , sont les principaux défis pour la transition vers les réseaux intelligents ou smart grids. . La biomasse et le biogaz sont enfin des solutions à convoquer quand l’électrification des usages ne sera pas possible, les volumes resteront néanmoins réduits et se résoudront donc pas tout. Aussi, nous devons rester mesurés sur les perspectives annoncées dans la SNBC de 550 TWh de biomasse solide ou liquide qui apparaissent peu réalistes.

La forte croissance prévue de la production d’électricité renouvelable rendra nécessaire la réalisation d’un programme de construction d’infrastructures énergétiques de grande ampleur (centrales éoliennes et solaires, batteries, lignes électriques, etc.). Elle supposera un approvisionnement important et sécurisé en « matériaux critiques » (terres rares, lithium, cobalt, graphite, cuivre, platinoïdes …) des industries qui en seront chargées. Une politique minière et de leur recyclage sera indispensable.

Nous appelons également à lutter contre toute tentative de mise en concurrence des concessions hydrauliques actuelles, c’est un non-sens et nous saluons la gauche pour ses prises de position claires sur le sujet. La nationalisation d’EDF peut-elle être une solution face à l’UE pour éviter que le sujet ne revienne sur la table des négociations européennes ? Quid des autres exploitants hydrauliques (ENGIE, la CNR…), faut-il également installer leurs productions hydrauliques dans une loi de nationalisation ?

Nous souhaitons enfin renvoyer un signal d’alarme sur la politique énergétique allemande (« energiewende » ou tournant énergétique). Au-delà d’un bilan climatique en demi-teinte, sans réel consensus à l’échelle européenne, les contraintes de fluctuation de production électrique allemande supportées par les voisins seront de plus en plus délicates à gérer dans les années à venir, et malgré les interconnexions, la stabilité du système électrique européen peut être durablement fragilisée, l’Allemagne ne peut plus avancer isolément sur ces questions. La réforme du « market design » discutée actuellement en Europe doit absolument faire valoir la position française sur ces questions.

La transition énergique a un coût qu’il faudra financer.

La transition énergétique coûtera très cher. Il n’est pas sûr qu’on le dise clairement aux citoyens. Les acteurs économiques français devront investir environ 2 points de PIB par an dans cette transition (soit 50 milliards d’euros). Pour bien faire, il faudrait sans doute passer à 4 %, soit un investissement de l’ordre de 100 milliards d’euros par an pendant 20 ans, pour « verdir » l’énergie, défossiliser l’industrie, rénover l’habitat…

La nécessaire évolution des marchés de l’électricité

L’hiver 2022 a démontré les limites du marché de l’électricité : régulation fragile pour financer l’investissement dans la production pilotable, sécurité d’approvisionnement défaillante, hausse conséquente des émissions du carbone… et des prix sensiblement haussiers sur les marchés court terme (>1000€/MWh à l’été 2022, pour un prix d’équilibre moyen avant crise de l’ordre de 70€/MWh) avec un impact direct sur les consommateurs. Le prix de gros journalier de l’électricité est fixé selon le principe de la tarification au coût marginal, c’est-à-dire le dernier kWh produit. Classiquement ce sont les centrales émettrices (gaz notamment), qui sont les dernières appelées dans l’ordre de mérite.

Les excédents de production existants dans les années 2000 qui ont permis à ce marché au jour le jour de fonctionner « correctement », ont aujourd’hui disparu faute d’investissements de production suffisants, exposant la France et l’ensemble de l’Europe a des risques de black-out inacceptables pour les populations et l’économie.
Une évolution des marchés de l’électricité tendant à prendre en compte ces réalités et les risques à venir se révèlent, pourtant, indispensable. La réforme du marché doit en particulier à favoriser l’investissement dans les productions pilotables sur le long terme, ce que le marché actuel – dit marché de gros – ne permet pas. La concurrence doit jouer sur les coûts d’investissement rapportés à la disponibilité des puissances dans la durée et non sur les seuls coûts du seul « kWh » à court terme.

La France doit par conséquent faire valoir ses intérêts à l’échelle européenne pour permettre une juste rémunération des productions à faibles coûts variables décarbonés (ENR, nucléaire). Les dispositions actuelles existantes dans le cadre des contrats long terme pour les productions renouvelables doivent être ouvertes aux productions pilotables décarbonées (par l’intermédiaire de « PPA power purchase agreements » ou de « CfD Contract for Difference ») pour stabiliser les prix d’achat pour les fournisseurs d’électricité et les revenus pour les producteurs.

L’intégration au marché de ces contrats long terme doit passer par une combinatoire associant PPA ou CfD d’une part, et prix de marché d’autre part (pour les centrales à forts coûts variables – centrales gaz par exemple).

Cette proposition aurait ainsi le mérite d’assurer une plus grande stabilité des prix, limiter la volatilité des prix, refléter davantage les coûts de production, mais également celui de précipiter notre sortie du charbon – centrales trop chères –, en conservant le gaz pour la stabilité du système électrique et en redonnant au nucléaire une place forte « en base » pour soutenir la compétitivité et une moindre volatilité pour les ménages, les professionnels et les industriels, en particulier les électro-intensifs.

Par ailleurs, concernant les prix pour les consommateurs, et plus particulièrement pour les ménages, nous appelons à conserver les tarifs réglementés de vente, tout en évitant les « sparadraps », comme les boucliers tarifaires, qui ne font qu’accroitre des couches de régulation sans traiter l’origine même du problème d’un volume bien trop faible de productions pilotables ayant des incidences sur la facture des français, problème lié au « design » du marché actuel !

Enfin, l’ARENH a non seulement placé EDF dans une situation financière inacceptable, mais encore obéré les capacités d’investissement dans les énergies pilotables décarbonées pour ses concurrents. Nous appelons à une sortie rapide et définitive, telle que prévue en 2025. Et il convient que les concurrents d’EDF s’engagent plus résolument dans des investissements de production comme l’ARENH le prévoyait initialement.

Faudra-t-il alors accepter d’ouvrir la production nucléaire à la concurrence ? C’est probable, en particulier pour les SMR ; mais il sera alors nécessaire de veiller à ce que les nouvelles constructions de groupes nucléaires respectent les injonctions de la Commission Nationale de l’énergie (CRE) et les contraintes de Service Public portées par RTE (stabilité du système électrique, interconnexions…) et qu’elles soient de préférence confiées à l’industrie européenne et non aux constructeurs chinois, voire américains.
Ces propositions permettront, d’une part, de pérenniser la rente du nucléaire fonctionnel existant et, d’autre part, de participer au financement du nouveau nucléaire, et à l’évolution du système électrique (soutien au renouvelable, mécanismes d’incitation ou d’effacement de consommation, développement des interconnexions…).

L’évolution des marchés gaziers

La mise en oeuvre des directives successives sur l’ouverture du marché du gaz a abouti, comme dans le cas de l’électricité, à ce qu’un marché court terme, qui ne sert à la plupart des grands acteurs qu’à équilibrer leurs positions à la marge, devienne le prix directeur de la très grande majorité des approvisionnements gaziers de l’Europe.
L’organisation d’un marché alternatif pourrait s’inspirer de principes similaires à ceux proposés pour le marché de l’électricité :
Le biogaz serait acheté à un prix à long terme rendant sa production (à partir de la biomasse agricole, forestière, de déchets et CIVE) raisonnablement attractive, dans la cadre de « Contracts for Difference » – CfD. (Rappelons que le biogaz est compétitif),
Des fournisseurs seraient autorisés, voire incités, à s’approvisionner pour une part substantielle des besoins du marché européen (jusqu’à 40%) à des prix indexés sur Henderfindahi-Hischman ou sur les produits pétroliers et à bénéficier pour cela de CfD,
Seules les quantités résiduelles seraient indexées sur des marché gaz-gaz court terme (TTF, ou NBP, ou PEG…)
De la sorte, comme dans le cas du marché de l’électricité, le prix marginal de marché ne serait plus directeur que pour la moitié environ du gaz consommé en Europe, le reste étant soit à prix fixe (Biométhane), soit à des prix indexés sur d’autres index (Brent, HH).

L’évolution de la fiscalité

Il est indispensable de revoir en profondeur la fiscalité de l’énergie, en renforçant la fiscalité carbone dès aujourd’hui. Le consensus pour installer un prix objectif du carbone existe chez les économistes, mais il ne peut être mis en place sans réduire les autres taxes existantes.
L’empreinte carbone – en tendance haussière à cause des importations – doit guider les réflexions européennes pour faire émerger une référence unique du carbone afin de favoriser l’émergence d’un marché compétitif et liquide au sein de l’UE, à travers une évolution en profondeur du SEQE. [Nota : La valeur de l’action pour le climat est à 250€/t de CO2].
Aussi, la taxation du carbone doit préférentiellement être portée par l’émetteur – et non uniquement par le consommateur. C’est aux producteurs d’électricité, aux constructeurs de voitures, d’avions, etc. de supporter au maximum cette fiscalité efficace et vectrice d’une plus grande justice sociale.
Elle limitera potentiellement les phénomènes de contestation sociale, comme les « Gilets jaunes », à condition d’engager une redistribution adaptée (chèque énergie par exemple) sur le plan social, en faveur des plus pauvres pour qui la transition énergétique sera sinon synonyme d’exclusion et non d’équité.

La réallocation des rentes dégagées sera tout aussi nécessaire dans l’industrie pour prévenir une délocalisation des activités les plus émettrices, à condition que ces dernières s’engagent expressément dans des stratégies bas carbone. L’opportunité de chacune de ces mesures doit être évaluée au regard du niveau de coût à la tonne de CO2 évitée.

Enfin, il conviendra d’astreindre les institutions financières à soutenir les actifs dans les productions et les actions de décarbonation, et a contrario pénaliser les investissements dans les activités fortement émettrices de gaz à effet de serre.

L’implication citoyenne, comme celle des entreprises, pourrait alors davantage être facilitée ; l’adhésion collective se retrouverait en effet moins distante d’une politique « étatique », souvent perçue comme éloignée des préoccupations des plus fragiles « à boucler les fins de mois ».

La gouvernance mondiale à plusieurs niveaux

Une politique énergétique à dimension européenne

Malgré les divergences existantes entre États-Membres, la dimension européenne de la transition énergétique est évidemment essentielle. Plus de 75 % de la consommation primaire de l’Europe est encore fossile. L’évolution des mix énergétiques relevant des politiques nationales, leurs conséquences créent des interdépendances entre États-Membres toujours plus fortes (interconnexions, tarification de l’énergie, etc.).
Nous approuvons à cet égard le renforcement du système d’échanges de quotas d’émissions (UE-SEQE) et ses perspectives de généralisation par le paquet législatif « Fit for 55) en cours d’adoption. Mais nous appelons à la vigilance concernant la taxonomie et le traitement du nucléaire ainsi que la définition de l’hydrogène « vert » qui ne doit être que décarboné et non réservé aux seules productions d’EnR.

Les décisions isolées de certains pays ont encore moins de sens après l’électrochoc de l’hiver 2022. L’émergence de consensus s’impose, l’UE gagnerait ainsi à se doter d’une politique commune autour :

  • D’une stratégie industrielle européenne pour asseoir la souveraineté autour des matières premières, et minerais, et pour renforcer les constructions de filières de bout en bout (nucléaire, photovoltaïque…)
  • De politiques de concurrence et la convergence des aides étatiques pour les renouvelables et les électro-intensifs afin d’éviter un dumping à l’intérieur de l’Europe,
  • D’une refonte en profondeur des cadres réglementaires, et des marchés de l’énergie (voir paragraphe précédent) pour assurer une tarification efficace de l’énergie,
  • D’une R&D et d’une innovation européenne pour accélérer la transition en mutualisant les moyens
  • D’une solidarité beaucoup plus affirmée en cas de crise (l’approvisionnement en masques pendant la crise COVID montre par exemple la difficulté de parler d’une seule voix à l’échelle internationale),
  • De la cessation des initiatives solitaires – comme ce fut le cas de l’Allemagne des premières discussions bilatérales avec la Russie autour de Nord Stream 1 dans les années 1990, ou lors de la sortie du nucléaire de l’Allemagne en avril 2023 par exemple – et en coordonnant les décisions structurantes des politiques énergétiques nationales.

Les accords internationaux sur le climat

L’articulation des accords internationaux sur le climat (COP) avec les politiques européennes et nationales reste insuffisante.
Si l’accord de Paris (COP21) a installé un nouveau cadre « universel et convergent », des oppositions et des réserves ont depuis vu le jour. C’est le cas des États-Unis, qui ont fait le choix d’en sortir après l’élection de D. Trump. L’échec relatif des COP qui ont suivi montre que le chemin du consensus international sera difficile.

Nous pensons néanmoins que les pays industrialisés, à l’origine depuis plus d’un siècle du CO2 accumulé dans l’atmosphère, doivent assumer leurs responsabilités à l’égard des économies émergentes qui souffrent aujourd’hui d’un réchauffement planétaire dont ils ne sont nullement à l’origine.

Nous pensons ainsi qu’il est indispensable de rendre contraignants les accords sur le climat. C’est pourquoi nous soutenons l’UE dans son choix de maintenir « comme direction » l’ambition de Paris, en ne confisquant pas pour autant la croissance aux économies occidentales, et au contraire en étant solidaires des économies émergentes, et en astreignant de facto le niveau de contribution des nations les moins exemplaires et à fort PIB/habitant. Il conviendra néanmoins d’être attentifs à ce que la contrainte exercée par le positionnement de l’UE ne conduise pas à détruire des emplois dans les grandes industries européennes (automobiles, aéronautiques…), pour la remplacer par des importations, dont le bilan carbone pourrait ne pas être favorable.

A cet égard, le projet de taxe carbone aux frontières pourrait y remédier. Encore faudra-t-il qu’il ne soit pas simplement protectionniste mais que, d’une part, son produit soit reversé aux pays émergents dont les biens taxés seraient originaires, d’autre part, qu’il incite les régions industrialisées exportatrices vers l’UE d’adopter un dispositif équivalent au SEQE de l’UE.

Groupe de travail du Lab de la social-démocratie

Rapporteur : Matthieu TERENTI

Autres rédacteurs et contributeurs : Dominique GRAND, Marc FONTECAVE, Quentin MOLINER, Pierre PAPON, Jacques ROGER-MARCHART

Relecteurs : Olivier APPERT, Benoît COGNE, Jean-Pierre FAVENEC, Guillaume GAULIER, Didier HOLLEAUX, Bernard TARDIEU

Sous la présence de Michel DESTOT

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[1] Nous pensons notamment aux lotissements de maisons individuelles construites à bas prix, véritables passoires thermiques qui pourraient avantageusement être remplacées par de petits collectifs thermiquement isolés.

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