La tornade Musk est passée sur l’humanité
09/03/2025 | Nouvelles technologies médecine

Jean de Kervasdoué
Economiste de la santé, membre de l’Académie des technologies
Jean de Kervasdoué a été chercheur, enseignant, haut fonctionnaire, créateur d’entreprise. Il fut notamment membre du cabinet du Premier ministre, Pierre Mauroy, puis directeur des hôpitaux au ministère de la Santé (1981-1986) et à ce titre à l’origine de plusieurs réformes. Consultant international, professeur invité à l’université Yale, il a publié de nombreux articles et ouvrages sur les systèmes de santé. Il est membre de l’académie des technologies et professeur émérite du CNAM et journaliste au Point.
L'essentiel
Après avoir dès son entrée en fonction le 20 janvier décrété la suspension pour 90 jours de l’aide étrangère, Donald Trump a annoncé le 3 février dernier la fermeture brutale de l’USAID (United States Agency for International Development), l’agence gouvernementale chargée du développement économique et de l’aide humanitaire dans le monde. Et elle a fait partie des premières victimes des coupes budgétaires d’Elon Musk, à la tête du département de l’Efficacité gouvernementale. Donald Trump estime que l’agence est « dirigée par une bande de fous extrémistes ».
L’USAID, avec un budget de 40 milliards de dollars représente plus de 40 % de l’aide humanitaire dans le monde. Elle intervient dans plus de 100 pays et fournit une aide alimentaire aussi bien qu’une aide médicale. L’arrêt du financement de programmes de recherche et de fournitures de médicaments met en péril la vie de millions de personnes. Sont particulièrement ciblés les programmes en direction des femmes, premières victimes de cette décision du fait en particulier de la lutte contre l’avortement, priorité du nouveau président américain.
Cette décision intervient au moment où nombre de pays européens, sous la pression de l’extrême droite et … de contraintes financières, ont également réduit fortement leurs programmes d’aide au développement.
C’est la vie de centaines de millions de personnes qui est affectée.
Jean de Kervasdoué
La tornade Musk est passée sur l’humanité
Temps de lecture : 6 minutes
En 2023, selon le Congressional Research Service, 77 millions d’êtres humains de 56 pays étaient nourris grâce à l’aide financière des Etats-Unis ; d’autres qui se chiffrent aussi en millions étaient soignés. Donald Trump y a mis fin en décidant d’interrompre pendant 90 jours le fonctionnement opérationnel de plusieurs agences américaines dont l’USAID (Agency for International development). Les paiements se sont immédiatement interrompus, sans aucun préavis. Depuis, les responsables des programmes n’ont plus accès aux comptes bancaires de leur entité opérationnelle, ni même au site de leur agence qui a tout simplement disparu. Certains employés ont été licenciés, d’autres mis en congé, la plupart ne sont plus payés et tous ont dû revenir aux Etats-Unis de leur propres moyens laissant tout sur place. L’aide alimentaire en voie d’être acheminée grâce à certains programmes n’est plus transportée et risque donc d’être périmée. La valeur de cette marchandise en transit dépasse pourtant 400 millions de dollars. Il en est de même de certains produits médicaux qui ne sont plus distribués. Enfin, les dettes pour travaux déjà réalisés ne sont pas honorées. Cet arrêt de 90 jours concerne tous les programmes et tous les pays à l’Exception d’Israël et de l’Egypte
En un weekend, l’équipe de Musk, celle du DOGE (Department of Government efficiency) a copié toutes les données de l’USAID, même quand elles étaient confidentielles, et bloqué tous les systèmes, ceci au nom de Donald Trump qui, le 11 février, réitère son soutien à cette équipe et à son chef. Les conséquences sont mondiales :130 pays recevaient des fonds de l’USAID en 2023. La planète humanitaire est un champ de ruine d’autant plus qu’en 2025, la France, la Suisse ou la Suède avaient de leur côté réduit leur budget d’aide au développement ; toutefois les sommes en jeu (environ 4 milliards d’euros) ne sont pas du même ordre.
Si les Américains n’étaient pas les occidentaux le plus généreux car, selon l’OCDE, leur contribution par habitant les plaçait au-delà du 25ème rang mondial, ils étaient de loin les plus gros contributeurs en valeur absolue. En 2024, le seul budget de l’USAID représentait 43 milliards de dollars[1]. Cet argent allait soit à des pays spécifiques : l’Ukraine plutôt que le Soudan ou Haïti (la générosité a été de tous temps orientée) ; soit à des programmes mondiaux : la recherche sur les vaccins, le fond pour combattre le SIDA, la tuberculose ou la Malaria ; soit à des institutions onusiennes (UNICEF, le Commissariat pour les réfugiés, le World food program), soit à de grandes ONG (OXFAM, Amnesty International, La Croix rouge, Family health International, Catholic Relief Services …), soit enfin à des programmes spécifiques à la suite de conventions bilatérales entre les Etats-Unis et les pays concernés. C’est ainsi que la très grande majorité des organisations humanitaires, d’un monde qui était encore occidental il y a trois semaines, sont touchées. Certaines relativement peu comme Médecins du monde qui prévoit cependant pour 2025 une perte de 4,5 millions d’euros, d’autres sont en revanche profondément atteintes comme « Action contre la faim » qui perd 120 millions d’euros, soit un tiers de son budget. De surcroît, la perte de ces ressources va être associée à d’autres dépenses car, dans les pays où existent un droit du travail, il faudra licencier les collaborateurs qui travaillaient sur ces programmes.
Si certaines organisations peuvent attendre le délai de 90 jours en espérant de peu probables jours meilleurs, ce n’est pas le cas de toutes. Personne ne sait en effet à ce stade les actions qui « contribueront à l’avancement de la force américaine et à sa prospérité », pour citer ici le Président Trump. Il n’y a guère de raison d’être optimiste car sur un réseau social, le 7 février, en parlant d’USAID, il indique que l’argent de l’USAID « a été dépensé frauduleusement », que « la corruption est partout », donc : « CLOSE IT DOWN ». Il coupe ainsi 1,2 milliards de dollars d’assistance humanitaire dans une Somalie en guerre, soit 78% de l’aide international ! Quid des 11 milliards à l’Ukraine, ou d’un milliard chacun à la République du Congo, l’Ethiopie et la Jordanie ?
Certes des juges fédéraux ont considéré que le décret pris part Trump (Executive Order) était illégal selon un principe constitutionnel simple : seul le Congrès peut défaire ce qu’il a fait, autrement dit, dans ce cas, couper certaines lignes budgétaires. De surcroît, de son côté, Marco Rubio, le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, a signé des renonciations temporaires (waivers) aux directives présidentielles pour des raisons « d’urgence humanitaire » ; mais le système de paiement ne fonctionnant plus, elles sont sans effet. A l’évidence Elon Musk qui considère qu’USAID est une « organisation criminelle » a plus de poids que l’Appareil judiciaire et l’Exécutif américains.
La vindicte est toute particulière à l’égard des femmes. En effet, toutes les institutions que feront un jour appel aux fonds américains doivent dorénavant certifier qu’elles ne favorisent pas à un titre ou à un autre le recours à l’avortement. Chacun sait pourtant que cela n’empêchera pas les femmes d’y recourir et contribuera à la mortalité maternelle. Avant cette décision, plus de 200 millions de femmes en âge de procréer n’avaient pas de recours à la contraception, si bien qu’alors, déjà, 84% des naissances n’étaient pas désirées. Leur nombre va croître.
Certes, l’USAID n’était pas exempte de critiques. Elle avait sa propre politique. Elle a financé des cliniques transgenres en Inde, subventionné des opérations chirurgicales de changement de sexe en Amérique latine ou, pire encore du point de vue de Trump, financé des médias internationaux « libéraux » c’est-à-dire anti-Trump. Inutile de préciser que la cruauté musko-trumpienne se justifie en soulignant ces dérives et plait à son électorat.
Les conséquences immédiates sont évidentes : famine, mort et reprise des épidémies. A moyen terme les migrations vont s’accroître. Politiquement, la Chine, la Russie, voire l’Inde vont progressivement prendre la place des Etats-Unis. Dans le passé pourtant, Marco Rubio quand il était sénateur de Floride, défendait l’USAID avec un argument qui a fait ses preuves depuis le plan Marshall : « Comment ces pays peuvent-ils être nos clients s’ils sont affamés ? ».
On ne connait pas la forme que trouvera le ressentiment mondial qui va naître. On ne sait pas combien de temps le monde humanitaire mettra à se relever. En attendant, l’égoïsme, l’aveuglement et la cruauté sont de retour et des dizaines de millions d’êtres humains se trouvent dans une situation dramatique, sans grand espoir d’en sortir à court terme.
Jean de Kervasdoué
Le 25 février 2025
[1] L’aide au développement en France représente 15 milliards d’euros. Par habitant ce montant est donc plus du double de celui des Etats-Unis
0 commentaires