Vers la décarbonation du transport routier lourd

12/01/2025 | Décarbonation mobilité et transports

Jacques Roger-Machart

Jacques Roger-Machart

Ingénieur-économiste, ancien directeur chez EDF, ancien député, consultant en développement durable territorial

Oliver Appert

Oliver Appert

Ingénieur

Ingénieur général des Mines, ancien PDG d’IFP Energies nouvelles, membre de l’Académie des Technologies et conseiller du centre Energie de l’IFRI.

L'essentiel

Beaucoup pensaient, jusqu’il y a peu, que la solution hydrogène avec  piles à combustibles (PAC) serait adaptée pour décarboner les véhicules lourds circulant pour de longues distances sur routes : autocars et camions transportant des marchandises. Cette solution s’avère cependant coûteuse non seulement pour produire de l’hydrogène non carboné mais aussi en raison des mesures de sureté nécessitées par la manipulation de ce gaz très explosif.

C’est pourquoi les constructeurs s’orientent tous vers la production d’engins à motorisation électrique sur batteries offrant des autonomies de 400 km pouvant même atteindre les 600 km.

Quant aux logisticiens, il sont dans la perspective d’être soumis à moyen terme au dispositif européen du « Fit for 55 » qui les obligera à payer pour leurs émissions de CO2.

La question est alors l’équipement des autoroutes et autres circuits routiers en bornes et emplacements de recharge adaptés aux besoins des poids lourds. Il reviendra aussi à Enedis de renforcer ses réseaux pour assurer l’alimentation électrique de ces installations de recharge.

Jacques Roger Machart et Olivier Appert

Vers la décarbonation du transport routier lourd

Temps de lecture : 6 minutes

Le Parlement européen a approuvé en avril 2004 la loi sur les émissions de CO2 des véhicules lourds. Elle prévoit, sans à notre connaissance aucune analyse prospective sérieuse, que la quasi-totalité des nouveaux camions vendus à partir de 2040 soient zéro émission.

Les constructeurs seraient donc appelés à réduire les émissions moyennes des camions neufs de 45% en 2030, 65% en 2035 et 90% en 2040. A partir de 2035, ces obligations s’appliqueront aussi aux catégories spécifiques comme les véhicules publics d’assainissement ainsi qu’aux camions de chantier. Les fabricants de remorques devront également réduire leurs émissions de 10% en 2030.

De fait les différents constructeurs de véhicules lourds annoncent des productions de motorisation électrique en moyenne à près de 50% de leurs productions dès 2030 :

Pour ce qui concerne les transporteurs de marchandises – les logisticiens – ceux-ci devraient dans un avenir proche être soumis au dispositif d’échange des quotas d’émission le SEQE de l’UE comme le sont déjà les industriels les plus émissifs en CO2. Ils seront ainsi incités de plus en plus fortement à utiliser des véhicules à très faibles émissions pour diminuer leurs achats de droits à polluer.

Pour garder une forte autonomie de circulation les camions pourraient certes être alimentés par des piles à combustible hydrogène décarboné ; mais le coût total de possession (TCO) de ces solutions est onéreux : l’hydrogène non carboné produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable ou nucléaire restera couteux et encore nettement supérieur au coût de l’hydrogène issus des énergies fossiles. De plus, l’usage de l’hydrogène est complexe notamment pour des raisons de sureté.

Les ressources en biomasse (bio-diesel, bio-GNV) sont limitées. Leur usage devrait pourtant être concentré sur les transports terrestres, y compris le transport lourd.

Les solutions tout électrique semblent donc devoir être privilégiées en raison d’un bon rendement énergétique des moteurs (environ deux fois supérieur à l’alternative thermique ou hydrogène) ainsi qu’à la relative simplicité de la recharge aux aires équipées.

Mais l’électricité consommée si elle est très peu émettrice de CO2 en France (56 grammes de CO2 par kWh en 2023), en Suède (41g CO2/kWh) et en Suisse (30g CO2/kWh), l’est beaucoup plus actuellement en Allemagne (381g CO2/kWh) ou pire en Pologne (662g CO2/kWh). Cette motorisation électrique pour être vertueuse sur les trajets européens devra nécessairement s’accompagner de progrès importants de production d’électricité non carbonée dans ces pays !

S’agissant des livraisons de marchandises au « dernier kilomètre » – c’est-à-dire de l’entrepôt vers le client final – ou pour les transports publics urbains comme les engins de type bennes à ordures ménagères, l’autonomie des batteries chargées en début du parcours journalier est très généralement suffisante : la solution consistant pour les logisticiens d’équiper leurs entrepôts  de chargeurs est sans conteste la plus opérationnelle. C’est ce que propose notamment la filiale d’EDF Izivia.

S’agissant des transports à longue distance, les constructeurs vont proposer des camions 100% électriques donnant une autonomie au véhicule chargé d’environ 400 km, voire  davantage si souhaité (600km chez certains constructeurs dès 2025). Mais il conviendra que des opérateurs installent des emplacements de recharge pour camions sur les grands axes de transit de marchandises, tous les 100 km environ. C’est vers cela que l’on doit s’orienter.

A noter à cet égard que l’Union Européenne préconise l’installation de stations de charge ultra-rapide sur les principaux axes, tous les 60km. Cela ne nous semble guère réaliste.

L’enjeu est plutôt  de concilier la pause réglementaire des chauffeurs poids lourds – 45 minutes toutes les 4h – avec la possibilité de recharge du camion. Les puissances de recharge actuelles des nouveaux modèles de camions (plus de 400 kW) permettent déjà de gagner une bonne autonomie en moins d’une heure. Cela devrait être amplifié dans un avenir proche avec la technologie MCS (Mégawatt Charging System) permettant une recharge de plus de 1 MW.

Reste que cela impliquera des investissements importants dans les réseaux de transport et de distribution d’électricité : on n’alimente pas une borne de 1MW avec les réseaux de distribution électrique en place.

A noter qu’il y aura des besoins de recharge de nuit, plus lente, pour les camions faisant des trajets longue distance et donc un besoin d’équipement des aires de service utilisées aujourd’hui.

Certains imaginent des autoroutes électriques permettant la recharge des camions tout en roulant. Cette solution qui a fait l’objet d’un rapport approfondi du ministère des transports, nous laisse tout à fait sceptiques. De telles autoroutes seraient fort couteuses à équiper de rails sous tension électrique et les camions de patins de contact pour une fiabilité difficile à assurer. Comme dit la sagesse populaire, « le mieux est l’ennemi du bien »

Enfin il ne faut pas oublier les territoires ruraux : l’électrification du transport y compris lourd ne concerne pas uniquement les autoroutes ! Bien des route nationales demanderont également à être équipées.

A noter d’ailleurs que déjà des acteurs choisissent d’autres sites hors autoroute mais proches et déjà artificialisés pour installer des aires de recharge.[1]

L’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique, Avere-France, estime[2] que sur autoroute les possibilités d’emplacement pour l’installation de bornes de recharge sont limitées. Les aires de service et les aires de repos constituent les seules options qui  ne nécessitent pas de création d’infrastructures supplémentaires d’entrée et de sortie de grands axes. Dans un contexte d’objectif ZAN (zéro artificialisation nette) pour 2050, il est   d’autant   plus pertinent de s’en tenir aux aires et zones déjà artificialisées.

Ainsi, la réponse aux besoins en recharge sur autoroute se fera principalement sur ces aires, et les raccordements au réseau de distribution  devront pouvoir y répondre. Alors qu’une deuxième vague de déploiement apparaît nécessaire dans les prochaines années sur les aires de service, une optimisation planifiée du déploiement pourrait limiter les coûts pour toutes les parties prenantes et s’insérer dans une nécessaire logique de sobriété tout en fluidifiant les installations.

Quant à RTE sa dernière étude prévisionnelle[3] pour des véhicules en circulation s’appuie sur des considérations similaires et conclut :

[…] La trajectoire « A – référence » finalement retenue par RTE compte 23% de camions électriques et 1,5% de camions à hydrogène dans le parc français à l’horizon 2035, en nette accélération par rapport à la trajectoire de référence des Futurs énergétiques 2050, mais en deçà de la trajectoire « électrification  + ».

Le trafic de transport de marchandises sur le territoire français étant assuré pour environ 40% (en tonnes.km transportées) par des camions étrangers, l’hypothèse sur l’électrification des camions étrangers circulant en France est également dimensionnante pour le calcul de la consommation électrique en France. L’hypothèse par défaut utilisée est d’affecter un taux d’électrification similaire au parc de camions français pour les camions étrangers parcourant des longues distances en France.

Les autobus et les autocars sont un segment dont la taille du parc devrait augmenter, en lien avec le report modal vers les transports en commun, avec une disparité sur le rythme d’électrification entre d’une part les autobus, dont le taux d’électrification a atteint 5% du parc roulant en 2022, et d’autre part les autocars pour lesquels les modèles électriques n’ont pas encore émergé sur le marché. Ainsi, la trajectoire « A – référence » compte 41% d’autobus électriques à batteries en 2035, et seulement 13% d’autocars électriques.

Jacques Roger-Machart et Olivier Appert

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[1] Cf. Milence, joint-venture créée par Volvo Group, Daimler Truck et Traton Group, qui prévoit d’ouvrir en avril 2024 son premier centre de recharge électrique en France. Implanté à Heudebouville, près de Rouen, il sera ouvert à tous les poids lourds à batterie électrique, quelle que soit leur marque.

[2] https: //www.avere-france.org/publication/etude-publication-de-letude-hit-the-road/

[3] https://assets.rte-france.com/prod/public/2024-07/2024-06-07-chap2-consommation.pdf : chapitre 2 p 50

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